LES ICÔNES

Une icône, est une image (cf le grec ancien), c’est une représentation de personnages saints ou saintes. Elles apparaissent dans la religion chrétienne (fondée sur l’enseignement de la vie de Jésus ) jusqu’au schisme ou autrement dit la séparation des Églises d’orient – orthodoxe – et d’occident – catholique – en 1054. Ces icônes seront moins importantes dans les rites catholiques alors que chez les orthodoxes elles font partie intégrantes de la liturgie et leur vénération est devenue un dogme de la foi depuis le Concile de Nicée en 787.

Monastère Sainte Catherine du Sinaï, Égypte, VI ème siècle

Créé au VIe siècle, Sainte-Catherine est le plus ancien monastère chrétien en activité.

Inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco, il abrite, au pied du mont Sinaï, une extraordinaire collection d’icônes des XIIe et XIIIe siècles. Il a pu exister des icônes antérieures au VIème siècle, même si l’on n’en a pas de trace physique. L’aire géographique et temporelle est également ample. Elle part de l’empire romain d’Orient, dont la capitale est Constantinople et dont les provinces orientales sont l’actuel Moyen-Orient (dans l’antiquité tardive, il y eut de la peinture d’icônes en Syrie, en Palestine, en Égypte), pour se développer amplement à l’époque médiévale dans tous les Balkans, en Russie et, au sud, jusqu’en Éthiopie.

Il est impératif d’utiliser les pigments naturels qui donnent la couleur la plus dorée, comme l’ocre jaune clair, mais l’or véritable est le matériau qui permet de représenter la lumière divine avec le plus de brillance.

Elles sont réalisées suivant la technique de la peinture à l’encaustique sur un support en bois, ce qui les rapproche de la peinture hellénistique-égyptienne appelée « portraits du Fayoum ». L’icône religieuse a pour but d’être un lien entre le monde divin et le monde terrestre durant la prière individuelle ou la liturgie chrétienne. C’est au milieu du VIe siècle que se développe le rôle des icônes dans la dévotion. Il est demandé au peintre d’icônes, l’iconographe, de se conformer à un prototype transmis de génération en génération, et d’effacer sa propre personnalité. D’où une stabilité manifeste au cours des siècles.

LE FOND D’OR

Crucifixion du Sinaï, XII ème siècle

Les iconographes appellent le fond de l’icône « lumière » car il représente la lumière du Royaume des Cieux, un espace intemporel. Cette lumière appelée “lumière incréée” est de même nature que la lumière créatrice du Premier Jour dans la Genèse. Le fond de l’icône doré symbolise cette lumière qui est diffusée partout simultanément, c’est-à-dire sans source de lumière extérieure, ni soleil, ni lune ou étoiles. L’icône devient « le visible de l’invisible ». Dans l’icône, les objets et personnes sont représentés sans ombres et dans un espace lumineux même si les événements sont vécus la nuit, à l’extérieur ou à l’intérieur. On peut dire que les iconographes font de l’art conceptuel par leur attitude de suggérer au spectateur l’idée de lumière incréée alors qu’elle est là. On est dans le conceptuel, dans le paradoxe.

Icône russe. Sainte Face (école du palais des Tsars) XVI ème siècle. Tempéra sur bois – Paris

On constate qu’il y a peu de différence entre cette icône ci et la précédente et pourtant quatre siècles les séparent. C’est dû aux canons imposés dans la fabrication des icônes qui doivent être consacrées au culte, à la permanence de la religion, le contact avec les différentes personnalités auxquelles on croit. Au début du processus de la dorure, l’iconographe symbolise l’humanité du Christ en appliquant plusieurs couches d’argile rouge (appelé bolus ou assiette à dorer) qui représente la création d’Adam. Ensuite, ce bolus est poli afin de recevoir l’or symbolisant la lumière divine qui a triomphé sur les ténèbres.

École macédonienne XVI -ème siècle

L’influence de la renaissance italienne affectera la manière de construire l’espace dans les icônes, mais elles restent détachées de la réalité. Les iconographes pratiquent la perspective inversée, au lieu de placer le point de fuite dans le fond du cadre et d’y envoyer les lignes de fuite, ils le placent à l’avant, les lignes convergent vers l’intérieur de l’image. Cela nous amène à regarder vers l’intérieur du cadre et plus spécifiquement sur le sujet, ici la vierge. On pourrait penser au vu de la simplicité des motifs que c’est un art simpliste, mais détrompons nous, il est peut-être plus difficile de s’astreindre à la reproduction d’un programme de création précis et codifié plutôt que de se laisser aller au renouvellement.

Dans une église orthodoxe

Les icônes sont regardées sous des lumières changeantes : la lumière du jour qui tourne dans l’église ; la lumière de la bougie, dont le tremblement, avec l’or, fait vibrer les images, phénomène qui s’intensifie dans l’obscurité. L’icône s’inscrit également dans une liturgie, au cours de laquelle on entend des chants et l’on respire de l’encens. Elle participe donc à un dispositif sensoriel très développé, un moyen de progresser spirituellement par la contemplation de la Lumière Divine.

Les iconographes ont été influencés par la Renaissance. Mais, les peintres renaissants ont emprunté à ceux-ci le fond d’or.

Fra Angelico, Le couronnement de la Vierge, 1432, 112×114 Tempera sur toile

Frère Jean de Fiesole devenu Fra Angelico est un peintre entré dans l’ordre des dominicains, son surnom lui vient de la religiosité émouvante de ses œuvres. Bien qu’il soit religieux, il est en même temps homme de son temps. Et on voit cela ici dans cette œuvre, les personnages sont tous différents les uns des autres, il y a individualisation des personnages et donc humanisation. Ceci malgré les règles et codification de la peinture religieuse de ce temps-là. La construction de l’œuvre est également novatrice. La forme géométrique est un cercle qui invite à la communauté, avec une répartition symétrique. Alors qu’à cette époque la forme privilégiée était plutôt le triangle. Le fond d’or, il le travaille en rayons, dans sa dimension mystique et dans le même esprit que dans les icônes.

En 1453, à la chute de l’empire byzantin, les artistes de Constantinople se réfugient en Crète. Ils y découvrent les innovations de l’art italien (dont la perspective avec point de fuite à l’infini), les étapes techniques de la dorure sont liées au dogme chrétien de l’incarnation du Christ qui nous appelle à sortir des ténèbres pour nous élever vers la Lumière : « Moi, la lumière, je suis venu dans le monde, afin que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres. » (Jean, 12, 44b-46).

LE PAYSAGE APPARAÎT.

Piero della Francesca, Le double portrait des ducs d’Urbino, 1412 – 1492, 47×33 chacun. Huile sur bois.

Abandon du fond d’or pour explorer l’environnement. Belle illustration d’un paysage de jour avec l’Homme en avant plan dans son environnement : la dimension humaniste. De plus les personnages ne sont pas idéalisés mais représentés tels qu’ils sont.

Un peu d’analyse esthétique :

  • perspective aérienne / lumière : sur les personnages elle est contrastée, dans l’espace intermédiaire elle est moyenne et dans le fond elle est plus importante et semble venir de la ligne d’horizon.
  • perspective chromatique : sur les personnages les couleurs sont vives pures éclatantes, sur le paysage elles sont ternes dans les marrons, bruns. Le fond, quant à lui, est de couleurs bleues harmonieux. Trois zones de couleurs différentes par l’intensité, le choix chromatique, et dans le contraste ou dans l’harmonie.
  • perspective atmosphérique : plus on avance dans le tableau plus les éléments deviennent flou.

Piero della Francesca, La cité idéale, 1470, 70×240 Tempera sur bois

C’est une gageure technique, mise en place de la perspective linéaire procédé codifié mathématiquement à la Renaissance. Idéalisation de la perception, de la compréhension du monde. Œuvre qui relève de l’exercice technique parce que la ville sans humain à la Renaissance cela n’a pas beaucoup de sens.

Cependant, il y a une récurrence du fond d’or chez certains artistes qui sont des renaissant flamands.

Rogier van der Weyden où Roger de la Pasture pour les Tournaisiens, La descente de croix,1435, 220×262 Huile sur bois. Musée du Prado

C’est une œuvre renaissante malgré le sujet religieux. Cela se remarque par les visages des personnages qui sont individualisés. Et en regardant d’un peu plus près .

détail

On peut voir l’expression d’une émotion intense. Pour rappel, au moyen âge les personnages avaient tous la même tête, le même corps un peu rigide. Ici, on est dans tout le contraire, et les renaissants flamands vont pousser la peinture de détail comme les lunules de l’ongle, les rides de l’œil, les larmes et le petit point de reflet. Mais aussi une perfection dans la représentation des matières comme les brocards tissés de fil d’or qui raidi l’étoffe, la souplesse d’un lin ou le soyeux d’une fourrure : on parle alors de naturalisme.

Quatre personnages sont régis par une ligne typiquement italienne : le contraposto ligne sinueuse, faite de courbe et contre courbe. De gauche à droite Saint Jean en rouge, la vierge, le Christ, et à droite Marie Madeleine.

On pourrait, maintenant repérer ce qui est médiéval, la position globale des personnages qui respecte la loi du cadre qui consiste à remplir l’espace. L’artiste qui, était plus considéré comme un artisan jusqu’à la Renaissance, reçoit une commande avec un espace dédié et un sujet qui lui est imposé. Il doit répondre avec les canons imposés. Il remplissait l’espace avec un maximum de choses.

On pourrait définir la forme géométrique dans laquelle sont les personnages : ils sont placés par un ovale qui invite le spectateur à entrer dans l’émotion du moment, cette démarche est plutôt renaissante. Par ailleurs, la forme du panneau, un T renversé, offre ce petit morceau supplémentaire qui peut contenir La Croix mais pour respecter cette loi du cadre van der Weyden place un ange derrière celle-ci.

Rogier van der Weyden retravaille aussi le fond d’or, lumière incréé qui était également très pratiquée au moyen âge. Parce qu’ici, même s’il est renaissant et donc au courant de l’humanisme preuve en est de l’individualisation de ses personnages, l’important du message transmis c’est le sacrifice de Jésus et pas le lieu, le moment. De plus techniquement cela l’arrange de n’avoir pas à mettre du paysage, il n’en aurait pas eu la place.

Un dernier élément le raccroche au moyen âge: les éléments trilobés qui font sans doute référence à la trinité et qui sont placés symétriquement retour à la Renaissance. En conclusion, on voit que van der Weyden passe de l’un à l’autre selon les besoins de sa composition et du message qu’il veut faire passer.

Il a fait un bref séjour en Italie vers 1450, mais ce sont surtout ses liens avec la cour de Bourgogne et les échanges de gravure et de livres qui l’on mis au courant des évolutions artistiques en Italie.

Pieter BRUEGHEL L’ANCIEN 1525 – 1569

Maître du paysage au 16 -ème siècle.

Pieter BRUEGHEL, La chute d’Icare, 1560, 73×112

Pieter Breughel en homme de la Renaissance flamande fait de cette scène mythologique une scène de la vie de tous les jours. Il va dans ce tableau traiter la lumière du jour de manière particulière et contribuer à la perspective aérienne.

Perspective aérienne : dans le terrain de labour il y a déjà plusieurs zones de lumière différenciées, et c’est aussi le cas sur la zone où se tiennent le berger et le pêcheur. Sur la mer on voit aussi ces lumières différenciées plus sombres là où Icare chute et des lumières de différents verts selon que l’on soit plus ou moins proche des côtes avec un grand coup de flash au milieu étant le reflet de la lumière du ciel. Le paysage à l’arrière est bien illuminé. Il a travaillé la lumière de manière subtile. Et la lumière est soutenue par le procédé technique couleur. Et on va voir que sans la couleur il est difficile d’être dans l’expression d’une différenciation de la lumière.

Pieter Brueghel, La fuite en Égypte 1563 – 37×66 – Huile sur panneau – Londres

HA: BRUEGHEL traite son sujet de manière humaniste, on est dans le contraire de l’icône ou l’on sait à qui on a à faire, ici c’est un homme tenant la bride d’une monture sur laquelle se trouve une femme sans indication de personnages religieux.

Constatons encore ici le travail délicat de la lumière dans ses contrastes et ses harmonies. On est bien dans la lumière du jour mais dans une complexification de celle-ci. La lumière est rarement homogène dans l’histoire de l’art.

Pieter Brueghel, La moisson, 1564 – 119×162 – Huile sur – New-York

Il sera aussi un des premiers à peindre la quotidienneté. Illustration de l’activité humaine dans un moment de la journée. Mais ce n’est pas le même qualité de jour selon que l’on se trouve près des faucheurs, dans le bosquet ou dans la vallée, … Dans l’analyse esthétique il faut définir la couleur de la lumière parce qu’en peinture c’est le moyen de faire prendre conscience des différentes lumières dans l’espace représenté. Ici, il y’a la lumière jaune orangée au niveau du champ, une plus verdâtre dans la vallée, et une plus bleuâtre dans le fond.

Pieter Brueghel, Le dénombrement de Bethléem 1566 – 116×164 – Huile sur panneau – Bruxelles

Il a peint des tableaux avec de la neige où il a donné une priorité aux blancs, aux gris et on pourrait penser que la lumière y est plus homogène. Mais, on se rend compte tout de suite qu’il n’en est rien : à la gauche les gens sont dans l’ombre et Marie sur son âne est dans une lumière bien blanche pour qu’on la voie clairement. Ensuite, plus on avance dans le tableau plus on quitte le blanc qui devient jaunâtre, verdâtre. Enfin, un soleil qui répand une lueur orange et un ciel parcouru de lumière bleutée et grisâtre.

Johannes VERMEER 1632 – 1675

File pour l’expo Vermeer en 2017

Le maître absolu de la lumière qui déplace les foules à chaque exposition dont on a retrouvé que 45 tableaux dont seulement 34 lui sont attribués.

Interprétations de la Jeune fille à la perle

La jeune filles à la perle n’a rien a envier à Mona Lisa, les artistes et autres créateurs se sont largement réapproprié ce tableau et l’ont détourné avec plus ou moins de réussite.

Détournement du tableau La laitière

et on connaît aussi cette ré appropriation de la laitière par la publicité.

Johannes Vermeer, Vue de Delft 1661 – 96×117 – Huile sur toile – La Haye

Si on parle de la lumière du jour, on est ici face à l’expression de lumière du jour assez incroyable, avec une impression de réalité bluffante. Rien qu’en considérant le ciel et la multitude des tons de bleus différents associés aux gris parfois verdâtre des nuages qui viennent obscurcir l’espace et se refléter sur l’eau, on reste un peu pantois.

Au début de sa carrière, il peignait des scènes historiques de format assez grand mais dès qu’il se met aux scènes de genre ou autrement dit de vie quotidienne, les formats rapetissent.

Johannes Vermeer, La laitière 1658 – 45,5×41 – Huile sur toile – Amsterdam

Le principe de Vermeer est de travailler dans une pièce où la lumière vient de la gauche d’une ou plusieurs fenêtres équipées de volets multiples qu’il ouvrait selon la lumière qu’il recherchait. Lumière qui ici est plus ou moins la même sur l’ensemble et servait à magnifier l’instant et toutes les matières matérialisant les objets visibles .

Johannes Vermeer, Le soldat et la jeune fille riant 1655 – 50×46 – Huile sur toile – New-York

La lumière vient de la gauche, avec un ombrage assez important dans le dos du soldat qui par contraste met en évidence la lumière sur la jeune fille. On peut aussi voir le reflet dans le vitrage de la fenêtre ouverte qui donne un léger accès à l’architecture extérieure.

Johannes Vermeer, La liseuse à la fenêtre 1657 – 83×64,5 – Huile sur Toile – Dresde

Arrêtons nous sur les matières des tentures dont l’aspect satiné brille ou au contraire ont un rendu plus mat. Au XVIIème siècle les tissus sont composés de laine, de soie, de lin, le coton n’arrivera qu’à la fin du XVIIIème siècle. Et dans la fenêtre à nouveau, un reflet.

Johannes Vermeer, L’atelier du peintre 1665 – 120×100 – Huile sur toile – Vien

Toujours une lumière à gauche, contrastée : plus forte sur le modèle allant vers le sombre à droite du chevalet du peintre. Dans le plan moins un créé par la tenture où nous nous tenons, on constate par le jeu de contrastes lumineux sur la tenture qu’il doit y avoir là aussi une fenêtre dont quelques volets sont ouverts.

Johannes Vermeer, La lettre d’amour 1669 – 44×38,5 – Huile sur toile – Amsterdam

Encore la source lumineuse à gauche, qu’il pose essentiellement sur les personnages et moins sur le mur du fond par exemple; on peut imaginer que certains volets sont fermés. Et, ici, l’espace moins un, antichambre avant la pièce principale. 

Johannes Vermeer, Jeune fille à la flûte 1660 – 20×18 – Huile sur panneau – Washington


Tout petit format. La lumière vient de la droite et se pose de manière subtilement contrastée sur le personnage et les divers objets allumant des reflets et mettant en évidence les matières.

Question : on dit des impressionnistes qu’ils sont les maîtres de la lumière ? En effet, mais ce ne sont pas les mêmes intentions. Vermeer est encore dans une peinture dite «classique» avec une maîtrise de la lumière associée à la couleur. Nous parlerons des impressionnistes la semaine prochaine.