Résumé : Mondrian est arrivé à une forme d’abstraction géométrique. Pour lui tout est lignes : verticales, horizontales, résultat de la synthèse qu’il a menée tout au long des années allant de 1913 à 1920 où sa peinture à atteint ses caractéristiques stylistiques définitives. Cette démarche à été possible pour lui par le biais de la Théosophie, philosophie qui propose une recherche d’élévation, d’harmonie et d’absolu. Sa démarche est imprégnée de la recherche de la dualité, l’opposition entre verticales et horizontales, entre les couleurs primaires et le noir et blanc.

Partie de l’atelier de Piet Mondrian à New-York avec la toile Victory Boogie -Woogie, 1944

On peut constater que l’espace de travail de Mondrian correspond à la rigueur de sa peinture.

1928 deux toiles de Mondrian seront choisies par les Pays-Bas pour les représenter à la Biennale de Venise événement artistique majeure et reconnaissance du travail de Mondrian.

1938 Mondrian inquiet, voyant le climat politique européen s’assombrir va, dans un premier temps, quitter Paris pour Londres.

1940 il quittera définitivement l’Europe pour les Etats-Unis et s’installe à New-York. Commence alors sa période New-yorkaise. Ses critères stylistiques sont toujours bien présents mais on sent que la ville a une influence sur son travail et sa peinture. En effet, si l’on regarde le plan de cette ville historiquement récente, on constate que les rues et avenues on été tracées de façon rectiligne à contrario des villes européennes qui se sont le plus souvent développées autour d’un cœur historique, médiéval, fait de petites rue tortueuses.

Mondrian appréciera cet aspect et sera fasciné par ces bâtiments quadrilatères imposants leurs volumes et leur structures toutes aussi régulières. Où qu’il porte le regard il se retrouve dans un espace structuré comme sa peinture. À Paris et à Londres il écoutait déjà du Jazz, à New-York, il découvre plus particulièrement le Boogie-woogie dérivé musical du jazz basé sur le piano. Son style va s’en ressentir même si, comme nous l’avons dit plus haut, ses caractéristiques stylistiques sont bien présentes.

New-York City I, 1941, 120×115,2, Huile et papier sur toile.
Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen

Il va occuper successivement deux ateliers à New-York un premier et puis un plus grand. Dans ce second atelier où il travaille et vit, les murs sont blanchis et ils servent de fond pour des expérimentations des jeux d’équilibres, il y place et déplace des formes colorées, pour de futures compositions.

Élimination du noir, mais on retrouve les lignes horizontales et verticales et les couleurs primaires. Elles s’entrecroisent comme un effet de tissage. On sait qu’il utilisait du ruban adhésif pour positionner ses lignes et chercher la composition la plus harmonieuse à ses yeux.

Broadway Boogie-woogie, 1942-43, 156×156, Huile sur toile.
MOMA New-York

Ça ressemble à quoi ?
Une nappe… intéressant. Un jeu vidéo… Pac-man, des legos,… D’accord mais avant ça ? Au plan de la ville surtout. Et on constate que les couleurs primaires sont juxtaposées alors qu’avant il les séparait et il n’y a pas de noir. En regardant cette œuvre on est, aujourd’hui, moins perplexe que devant ses œuvres précédentes, parce que nous avons intégré les codes de l’abstraction géométrique. Ce langage plastique nous est plus accessible il suffit de se référer aux premières propositions énoncées. Mais pour l’époque c’était extrêmement novateur. Une partition musicale…Quand on va regarder une vidéo de danseur de Boogie-woogie on voit le rapport entre cette musique sautillante et les petits carré colorés qui rythme la composition.

« Les rectangles asymétriques de De Boogie-woogie correspondent à la mélodie syncopée du Boogie-woogie, les petites lignes brisées faisant écho aux cascades d’accords brisés de la base rythmique »

Victory Boogie-woogie, 1944, 127×127, Huile sur toile,
Kunstmuseum Den Haag

1944, février, il mourra seul dans ce grand atelier, d’une pneumonie, avec Victory Boogie-woogie inachevé posé sur un chevalet. Entre le moment où il été exposé à Venise et 1944 il aura des périodes de vaches maigres et par moment pour survivre peindra des fleurs. Mais à un moment il y renoncera disant que cela lui devenait impossible.

Plan rapproché sur Victory Boogie-woogie

On voit clairement que la peinture est composée d’un fond sur lequel Mondrian est venu poser des plans colorés. C’est l’occasion de dire que les toiles de l’artiste posent de nombreux problèmes de conservation, et de restauration du fait de la qualité des supports et de la peinture.

Dans l’atelier de Mondrian :

Fondation Beyeler une recherche sur composition avec bleu et jaune :
https://www.fondationbeyeler.ch/fr/pietmondrianconservationproject/composition-with-yellow-and-blue

Pourquoi parle-t-on encore de Mondrian ?

D’une part il fait partie des précurseurs de l’abstraction et d’autre part, des précurseurs il est avec Malevitch, celui qui va laisser le plus de traces.

Katarzyna Kobro. Est une artiste constructiviste qui a côtoyé Malevitch dont nous parlerons après. Elle est connue pour ses sculptures faites de surfaces planes, éventuellement courbes et elle utilise des couleurs primaires qui correspondent plus ou moins à celles de Mondrian. Oubliée parce que les artistes femmes ont été minorées mais aussi à cause de la partition du monde entre blocs de l’est et de l’ouest et de la situation politique de la Pologne. Aujourd’hui, elle est considérée comme une des sculptrices les plus importantes de l’entre deux guerres.

Composition spatiale, 1929, 40x60x40

https://awarewomenartists.com/en/artiste/katarzyna-kobro/

C’est de la 3D et on pourrait faire un petit point (AE) en se posant la question du volume exploité. Ici, c’est un parallélépipède rectangle. Dans ce parallélépipède rectangle qu’est-ce qui prend le plus de place ? Le vide entourant les éléments en tôle. C’est un procédé technique que les sculpteurs vont beaucoup utiliser à partir du début du vingtième siècle.

La Haute Couture : Yves Saint Laurent inspiré par Mondrian.

Le crayonné de quelques unes des vingt-six robes dessinées par Saint Laurent pour la collection hiver 1965.

Piet Mondrian Sa vie, son œuvre de Michel Seuphor (1956), livre offert, à Yves Saint Laurent par sa mère. Il y puisera son inspiration et dessinera vingt-six robes « Mondrian » sur un défilé qui en compte cent six.

On y retrouve les caractéristiques de De Stijl et de Mondrian, les lignes horizontales et verticales noires le fond blanc et les trois primaires. Mais on peut aussi constater le tombé rectiligne de la robe et se dire que Saint Laurent avait bien capté l’intention de Mondrian.

Le succès de cette robe va réactiver l’intérêt pour l’œuvre de Mondrian tant en Europe qu’aux Etats-Unis. Et une première rétrospective de son œuvre se fera à Paris en 1969.

Mais d’autres créateurs vont s’emparer de l’esprit, du langage de Mondrian qui est devenu acceptable, et même normatif ce qui est toujours un peu dangereux pour un mouvement artistique car il sort du champ artistique pour entrer dans le champ du quotidien, du produit manufacturé. Les personnes qui se font faire une manucure de ce type ne savent probablement pas qui est Mondrian et ne connaissent pas l’œuvre à laquelle celle-ci fait référence.

On a vu ci dessus quelques exemples de l’influence de l’œuvre de Mondrian dans la production de produits dérivés de son œuvres. Mais qu’en est-il de son influence sur les courants artistiques qui vont suivre ?
Mondrian va influencer et faire naître un courant dit de l’abstraction géométrique. Aux Etats-Unis, un courant va se développer sur base de ces zones géométriques colorées. C’est plutôt Malevitch qui va vraiment introduire une radicalité dans l’expression artistique.

On a vu que Mondrian à petit à petit repoussé les zones colorées vers les bords extérieurs du tableau et tu as parlé de « All Over » : l’idée que les choses continuent plus loin, ailleurs. Mais dans n’importe quel tableau, les limites de la toile ne limitent pas le « monde représenté »

Mantegna, La Crucifixion, 1456/59, 76×96, Tempéra sur bois de peuplier.
Musée du Louvre

Dans ce tableau, si l’on considère le rocher à gauche le pavement sur lequel sont plantées les croix et la falaise à droite qui continuent, sans doute, hors des limites du champ du cadre. On comprend, que Mantegna nous montre une petite portion de la réalité. Et donc l’idée que le peintre nous montre un fragment, un détail de l’entièreté d’un espace, cela existe depuis…. Quasiment toujours. C’est plus compliqué dans l’art pariétal où les objets ne sont pas liés à un fond (surface de pierre non peinte) et dans l’art médiéval où le fond est doré. Mais à partir du moment où il y un paysage et que les éléments sont coupés et qu’en imagination on peut les envisager, on pourrait considérer qu’il y a du « All Over ». Oui et Non. Oui, pour tout ce que l’on vient de dire mais Non parce qu’il n’y a pas cette intention. L’intention de Mantegna c’est de représenter des humains à un moment donné, dans un contexte, et pas de suggérer qu’il y a un gros plan au centre d’un plan immense suggéré parce que qu’il n’y a pas de toile assez grande pour tout y mettre. Mais à la Renaissance, il y a l’introduction d’éléments qui font comprendre que l’Etre Humain est un individu dans un monde qui se déploie autour de lui.
On commence a parler de « All Over » avec Pollock.

Jackson Pollock, 1948, Peinture Argent sur noir, blanc, jaune et rouge, 61×80.
Peinture sur papier marouflé sur toile. Centre Pompidou.

Kasimir MALEVITCH 1878 – 1935

Dans l’Histoire de l’Art il y a un trio d’Artistes que l’on peut qualifier de complexes : Joseph Beuys, Yves Klein et Kasimir Malevitch.

Du trio d’artistes c’est le premier né.

« L’Homme éprouve un terrible besoin d’espace et cherche à échapper aux limites imposées de notre planète. »

Cette citation illustre les deux éléments qui vont lui tenir à cœur : l’espace et échapper aux limites.

Il va proposer une peinture radicale qui a encore aujourd’hui énormément d’impact dans les productions artistiques. Il est considéré comme un peintre d’avant garde, d’un mouvement novateur qu’il nommera lui-même : le suprématisme.
De son temps, sa production a été très vite validée et tout aussi vite rejetée. Elle a d’emblée posé problème dans la Russie de l’époque et on verra que le contexte politique, spécifique, du moment ne lui sera pas favorable. Kandinsky était russe lui aussi mais il a passé le plus clair de sa vie à Paris. Malevitch restera en Russie toute sa vie et y connaîtra une disgrâce officielle. Et encore aujourd’hui, on parle peu de lui et on ne montre pas souvent son travail alors qu’il est considéré comme l’un des trois précurseurs de l’abstraction qui ont radicalement changer le monde de l’art, il est essentiel à l’histoire de l’art contemporaine. La première rétrospective se tiendra en 1989 en Russie au Musée russe de Leningrad et à la galerie Tretiakov de Moscou avec des œuvres sorties des réserves russes mais largement soutenue par le Stedlelijk Muséum d’Amsterdam qui possède une collection importante des œuvres de Malevitch.

Ilia Répine, Léon Tolstoï, 1887, 88 × 124 cm, Huile sur toile
Galerie Tretiakov, Moscou

Né en Ukraine, à Kiev d’un père contremaître d’usine. Sa mère, probablement analphabète, est femme au foyer et éduque quatorze enfants dont Kasimir est l’aîné. Ils sont d’origine polonaise. Il n’a aucun contact avec l’art, pas même avec la photographie ou la presse dans laquelle il y en aurait des représentations. Un jour en accompagnant sa mère dans un magasin il voit une reproduction de peinture. Ce sera la découverte fortuite de ce qu’est l’objet tableau et du même coup découvrir que l’on peut placer la réalité extérieure sur une surface plate. On a du mal à envisager ce choc, mais imaginons nous en 1885 dans un lieu qui n’est pas encore envahi par l’image comme aujourd’hui. C’est cette découverte qui va lui donner accès à ce que nous appelons une réalité illusoire. Puisque c’est qu’est une peinture : une peinture est une illusion de la réalité représentée sur une surface plate. Le propos est différent quand on parle de la photo mais la peinture c’est l’illusion. Quelques années plus tard, il va s’informer, il va entrer en contact avec la peinture traditionnelle russe de son époque au travers des œuvres d’un des peintres de l’époque : Ilia Répine.

Illia Repine, Procession religieuse dans la province de Koursk, 1880/83, 175×280, Huile sur toile, Galerie Tretiakov Moscou.

Peinture traditionnelle, classique russe. Mais cette forme classique n’est pas spécifique à la Russie c’est celle que l’on enseigne et que les peintres pratiquent partout dans les cultures occidentales.

Les caractéristiques de la peinture traditionnelle : figuratif, réaliste, convention de procédés techniques reconnus pour gérer l’espace et sa mise en perspective, respect des couleurs réelles, pour reproduire de la manière la plus réaliste ce que l’on veut représenter.

Malevitch, entre dix sept et dix neuf ans, étudie dans un collège où il apprend le dessin technique tout en suivant des cours de peinture. Mais ce qui l’intéresse c’est l’art et il décide de se diriger vers une carrière artistique. C’est assez étonnant venant de la part de quelqu’un qui n’a apriori pas de connexion avec ce monde là. Au début du vingtième siècle la seule voie c’est l’Académie et y suivre les règles. Il comprend que cela demande une formation conséquente. Il faut tenir compte de ces éléments en regard de ce qu’il va produire par la suite, production qui pourrait nous faire douter du sérieux de sa formation. Le lieu artistique majeur le plus proche et qui lui est le plus accessible, c’est Moscou. Pour y parvenir il va travailler comme dessinateur industriel pour les chemins de fer. Dans ces Académies, il va rencontrer d’autres personnes qui ont déjà un statut d’artiste et il se rend compte qu’il est impératif de se confronter aux différents courants existants et commence à peindre.

Portrait de sa mère, 1900, 47×37, Huile sur toile.

Dans ce portrait il suit la tradition du portrait académique. Le sujet est central, dans une forme triangulaire et les angles inférieurs du triangles sont hors cadre ce qui a pour effet de rapprocher le sujet. (AE) En effet si le sujet est dans son triangle et que celui-ci est complet dans le champ de la toile le sujet s’éloignera du spectateur. Le sujet ne nous regarde pas , c’est une nouveauté, dans la tradition classique le sujet regarde le spectateur et souvent où que l’on se place on a l’impression qu’il nous regarde.
Le fond est non fini, bâclé, indéfinissable en tout cas classiquement ce n’est pas comme cela que l’on traite un fond dans un portrait.

Birkenhain, maison dans un champ, 1905, 34,5×49,5, Huile sur toile,
collection particulière

Ici, l’influence est très reconnaissable. Impressionniste, par la touche fragmentée, la couleur liée à la lumière. Ce n’est pas tant le sujet qui est important mais la manière dont Malevitch l’a traité qui est typiquement impressionniste.

Donc pour le moment Malevitch s’essaye à faire comme les autres et c’est intéressant de regarder d’où il part et son évolution.

Portrait d’une femme de la famille, 1906, 68×99, Huile sur carton,
Stedelijk Muséum Amsterdam

L’influence est toujours impressionniste, avec une tendance au fauvisme par les couleurs. Il est dans la recherche de son propre chemin en imitant les choses qu’il a l’occasion de voir dans des expositions qui se tiennent à Moscou où l’on montre les artistes européens et surtout ceux de France.

« J’ai compris que l’essence même de l’impressionnisme ne réside pas dans le dessin précis des scènes, des choses mais dans la texture même de la peinture*. Mon travail tout entier était comparable à celui d’un tisserand. Il crée lui aussi à partir d’une texture, un tissu qui peut être une œuvre d’art. Je découvris alors que le principal stimulant pour un peintre repose toujours et exclusivement dans son rapport avec la matière. »

*( AE, ce que nous appelons la touche picturale)

On a de la chance Malevitch à beaucoup écrit sur son travail ce qui nous facilite la tâche pour comprendre sa démarche. On constatera aussi que ce qu’il dit là ne sera plus d’actualité par la suite.

Maison jaune, 1907, 19,2×29,5, Huile sur carton, Musée d’état Saint Pétersbourg

Ce sont les principes impressionnistes, fragmentation de la touche, utilisation des couleurs qui vont constituer le sujet et l’utilisation de la lumière pour le mettre évidence. Mais ici le sujet commence à poser problème.

« Devant moi, entre les arbres il y avait une maison tout juste reblanchie à la chaux. C’était une journée ensoleillée le ciel était bleu cobalt. Un pan de maison était dans l’ombre l’autre éclairé par le soleil. Pour la première fois je tint pour véridique la vive réfraction du ciel bleu, la pureté et la transparence des tons. A partir de cet instant je commençai à peindre dans des couleurs vives et lumineuses. A partir de cet instant je devins un impressionniste. »

Ça c’est ce qu’il pense, ce qu’il dit et ce qu’il fait. Pour lui, il est dans une démarche impressionniste. Mais pour nous qui nous positionnons beaucoup plus tard, le sujet n’est pas traité comme un sujet impressionniste parce que on ne reconnaît plus le sujet. Chez les impressionnistes on reconnaît le sujet. Même dans la série des Cathédrales de Rouen de Monet on reconnaît la Cathédrale.

Cathédrale de Rouen, 1892-1894, série de 30 tableaux, Huile sur toile, 100 cm. x 65

Alors qu’ici c’est très compliqué. Malevitch se dit, se convainc qu’il est impressionniste, nous plus tard en regardant ceci on se dit que sa proposition artistique va déjà dans la difficulté de la reconnaissance du sujet. Attention, il se dit impressionniste donc il n’est pas du tout dans une démarche abstraite. Dans sa tête, c’est évident qu’il y a un sujet, il se compare à un tisserand et en effet c’est la matière, la texture, la variation des tons, la lumière, la réfraction de cette lumière. C’est sa manière de faire et de traiter le sujet.

En 1907, il va exposer à l’Union des Artistes de Moscou. Pour être reconnu à cette époque, partout, il faut passer par le système officiel des Salons qui sont des lieux d’exposition qui mettent en valeur des artistes, reconnus par les académies, qui vont dès lors influencer l’art contemporain. Ces quelques tableaux acceptés et exposés sont un encouragement et lui font faire un grand pas dans la validation de son art.

En 1908, la Russie va avoir une démarche d’ouverture culturelle importante et de multiple expositions étrangères vont avoir lieu et notamment une exposition où il y a des impressionnistes mais aussi des Nabis, mouvement post impressionniste. Les tableaux suivant n’étaient probablement pas ceux de l’exposition mais représentent ce mouvement. Malevitch va donc à la rencontre de ce nouveau courant dont Pierre Bonnard est l’un des représentants.

Pierre Bonnard, Nu à contre jour, 1908, 124,5×109, Huile sur toile,
Musée Royaux des Beaux Art de Belgique

Il y a une gestion de l’espace un peu bancale, chez les impressionniste c’est plus rigoureux.

Édouard Vuillard, Femme près d’une fenêtre, 1898, 28,5×42,5, Huile sur toile
 Aichi Prefectural Museum of Art

Malevitch a du être intrigué par l’imprécision, le flou, en tout cas le non respect des règles académiques. Entre la Procession religieuse vue plus haut et ceci il y a de quoi intriguer Malévitch qui constate que les artistes Nabis vont chercher ailleurs.

Édouard Vuillard, Jardins publics, la conversation, et l’ombrelle rouge, 1894, 213,5×328 triptyque faisant partie de neuf panneaux organisés en triptyque ou diptyque peint pour un commanditaire et placés dans un salon salle à manger. Aujourd’hui au Musée d’Orsay.

Bien que la scène soit assez banale, Malevitch dans ce cas aurait été impressionné par l’amplification de l’espace.

Après sa rencontre avec les Nabis, Malevitch va rédiger un texte pour expliquer comment il va développer son expression artistique en quatre phases.

PHASE 1

autoportrait 1907

« Je me mis à peindre dans l’esprit des primitifs. Dans une première période j’imitai le style des icônes. »

C’est très vertical, c’est plat comme sur une icône. Et les personnages sont nus, il prend des libertés. Il y plaque les couleurs du fauvisme.

PHASE 2

Malevitch, Moissonneuses, récolte du seigle, 1912, 72×74,5, Huile sur toile, Stedelijk Musée Amsterdam

« La seconde s’inspirait du travail de la terre »

Il voit du cubisme cézannien et des tableaux de Fernand Léger dans des expositions.

PHASE 3

Malevitch, Le baigneur, 1911, 105×69, gouache sur papier,
Stedelijk Museum Amsterdam

On constate la disproportion, des couleurs irréalistes, pas d’espace, et le sujet semble avoir les mains prêtes à déborder du cadre comme s’il n’avait pas les moyens de placer son sujet convenablement dans les limites du tableau. Il n’y a pas réellement de composition. Il rejette de plus en plus les règles académiques. A cette époque là, c’est le cubisme et le fauvisme en France et en Allemagne c’est l’expressionnisme avec des personnages peint un peu de cette façon avec une difformité du corps.

PHASE 4

Malevitch, Le jardinier, 1911, 91×70 cm, Gouache sur papier,
Stedelijk Museum Amsterdam

Il est allé à l’académie, il appris toutes les règles… que se passe-t-il ? Il utilise des couleurs vives, pas réalistes, il ne respecte pas les proportions, la gestion de l’espace n’est structurée par aucune perspective. Avec une perspective rabattue pour le sol. Le personnage plus petit à gauche pourrait nous faire croire à de la perspective linéaire mais sa taille n’est pas reprise entre des lignes de fuites par rapport au grand personnage, c’est donc une illusion. Ce n’est pas une réalité de construction.

Au cours de ces quatre phases il fait des expériences, il cherche, et s’approprie les genre des peintres qu’il a l’occasion de voir dans les expositions qui se tiennent en Russie.

Et puis…

Malévitch Kasimir, Carré noir sur fond blanc. 1915, 36,7×36,7×9,2, Huile sur plâtre Centre Pompidou – Musée national d’art moderne

Cette œuvre à été réalisée en 1913 et présentée pour la première fois en 1915.

Que c’est il passé ? C’est la grande question que nous allons traiter.

Carré noir sur fond blanc, cercle noir sur fond blanc, croix noire sur fond blanc. Sur un an de temps il bascule. Ci dessous, une photo d’une exposition futuriste.

On voit le Carré noir sur fond blanc accroché dans l’angle. Et toutes les autres peintures sont les peintures Suprématistes qui seront reprises dans le courant qu’il va nommer lui même Suprématisme. Qu’est-il passé ?

Deux grandes raisons :

La première c’est le bouleversement historique que va connaître la Russie du point de vue politique avec la révolution qui provoque un changement profond de la société et de la culture. La seconde c’est l’influence d’une philosophie et d’une forme de pensée, le Nihilisme.

Quand on voit « Carré noir » on est en droit de se demander : et après, on fait quoi ?
Malevitch va plus loin et nous le verrons dans la suite. Mais avant d’aller plus loin nous allons voir les raisons qui ont provoqué ce saut créatif entre « Le Jardinier » et « Carré noir ».

L’ASPECT HISTORIQUE

La Russie, qui est dirigée par une succession de Tsars depuis 1547, va au cours du XVIII ème siècle, mener une politique d’expansion territoriale. Sous le règne de Catherine II, la classe dominante s’ouvre à l’Occident et s’intéresse à la philosophie des lumières. Dès lors, le « progrès » via des investisseurs européens va commencer en Russie. Un édit de 1649 qui lie les paysans à la terre et à son propriétaire, c’est le servage qui réduit l’individu à un bien meuble qui peut être vendu comme tel, est renforcé, cela provoque des révoltes et leurs répressions.

Paysans au champs, Piotr Soukhodolski

Au cours du XIXeme siècle, l’empire russe a tenu tête à Napoléon, défait à Moscou en 1812, ce qui fait entrer la Russie sur la scène internationale et dans le jeu des alliances. Le siècle est émaillé de guerres avec leurs lots de victoires et de défaites. L’empire russe, sous le règne de Nicolas Ier, perd la guerre de Crimée 1853/1856 face à une coalition de l’Empire Ottoman, de l’Angleterre, de la France et du Royaume de Sardaigne qui craignaient l’expansion russe. En 1861, pour faire oublier cette défaite, Alexandre II qui succède à son père en 1855, aboli le servage libérant ainsi vingt trois millions de paysans. Et accorde à ceux-ci de la terre qu’ils rembourseront à l’état en plus des impôts.

Exposition de 1889 à Paris, Salle des machines.

Alors qu’à Paris en 1889, l’exposition universelle illustre le développement technique, en Russie le développement industriel connaît des hauts et des bas, se concentre dans certaines activités alors que d’autres sont à la traîne. Les terres sont trop petites pour faire vivre leurs occupants ce qui suscite des révoltes paysannes matées violemment. Les ouvriers des petites manufactures sous le joug de petits patrons qui commence à former une classe intermédiaires ne sont pas en reste. La petite aristocratie surendettée complote. Depuis l’abolition du servage une nouvelle organisation de la société est mise en place avec ses échelons intermédiaires. Des luttes de pouvoirs, entre ces différents niveaux d’organisation et avec le pouvoir central, provoquées par ces réformes vont attiser la violence de divers groupes d’intellectuels dont les Nihilistes ce qui mènera à l’assassinat du Tsar Alexandre II, en 1881.

Au milieu du XIX ème siecle, 81,6 % de la population était paysanne, 9,3 % de la population était classée en tant que bourgeoise ou marchande, 6,1 % était militaire, 1,3 % était issue de la noblesse et 0,9 % du clergé. En 1857, sur plus de 62,5 millions d’habitants de l’Empire russe, 23,1 millions avaient le statut de serf.

Alexandre III accède au pouvoir, il va mener une politique de contre-réformes en réaction à l’assassinat de son père et resserrer les dispositions autoritaires en interdisant les partis politiques et les syndicats. La presse est censurée, le droit de déplacements est limité et surveillé. Il entame une une russification des minorités ethniques et des provinces éloignées. Dans ses réformes, il vise aussi les juifs qui migreront en masse entre 1881 et 1920.

Au début du vingtième siècle la Russie cherche à rattraper son retard de ce que l’on appelle la seconde révolution industrielle. Cette révolution synonyme de « progrès » à l’époque, a largement fait évoluer les sociétés occidentales. La Russie ne s’est pas développée autant que les autres pays et celle-ci est encore une société largement agraire, féodale repliée sur elle-même avec une classe dominante les nobles et le clergé et le peuple composé des paysans, des ouvriers. La fin du servage et la croissance démographique ont fait augmenter la main d’œuvre qui ne trouve pas de travail dans l’industrie et part coloniser des régions reculées. A la fin du siècle l’agriculture a un poids écrasant, l’analphabétisme et la mortalité infantile sont importants.

Ouvriers engagés dans la construction du chemin de fer transsibérien au début 1900

En 1894 Alexandre III meurt et Nicolas II monte sur le trône, il sera le dernier Tsar de Russie. En 1904 une guerre avec le Japon éclate et préfigure les guerres du vingtième siècle par l’engagement des forces en présence, par l’emploi des techniques les plus modernes de l’art de la guerre (logistique, lignes de communications et renseignements ; opérations combinées terrestres, maritimes et aéroportées ; durée de préparation des engagements)

La Russie perd et c’est l’humiliation pour le pouvoir central et ce sera un moment clé.
Une première manifestation en janvier est réprimée dans le sang.

Dimanche sanglant, manifestation des ouvriers et prise de position des troupes sur la place du Palais d’hiver de Saint Pétersbourg résidence de la famille impériale. Les soldats tirent sur la foule. Dès le lendemain les ouvriers se mettent en grève et des grèves éclatent un peu partout sur le territoire, les marins du cuirassé Potemkine se mutinent refusant de manger la viande avariée que l’on veut leur servir, les troubles s’amplifient jusqu’à la manifestation du 17octobre 1905. Nicolas II cède une constitution plus libérale. Mais deux ans après il réduit à néant les espoirs soulevés par cette révolution.

Ilia Répine, manifestation du 17 octobre 1905, 1907, 184×322, Huile sur toile,
Musée Russe de Saint Pétersbourg

En 1914, le jeu des alliances obligent la Russie à prendre position et à entrer dans la guerre.

Nicolas II présente une icônes aux combattants.

La plupart des pays pensaient que cette guerre ne durerait pas comme les précédentes. Mais les armes se sont modernisées et la guerre durera quatre ans.