L’art paléochrétien

Mosaïque du Bon Pasteur, ‘mausolée’ de Galla Placidia, Ravenne, Italie, début du Vème siècle

On l’appelle « mausolée » mais c’est en réalité un oratoire dédié à saint Laurent. Fille, épouse et mère d’empereur, régente pendant la minorité de son fils, Galla Placidia, très pieuse, s’est retirée à Ravenne, plus facile à défendre que Rome face aux pressions exercées par les Wisigoths.
De nombreuses mosaïques le décorent, comme cette voute en berceau faite de mosaïques décoratives qui précèdent une mosaïque figurative en demi-cercle sur le mur du fond. Celle-ci inscrite dans un cadre qui limite l’espace dans lequel la scène va se passer. Ce cadre est constitué d’éléments décoratifs qui n’apportent rien à la compréhension du sujet mais qui ajoutent un aspect précieux à l’œuvre.
Le paysage est fait de rochers et d’éléments végétaux. Juste au-dessus de la ligne inférieure du cadre, on observe des fissures dans le sol. L’artiste jongle entre la représentation réelle d’un espace et l’aspect décoratif. Sur le sol, dans les ocres, on voit des moutons posés sur des promontoires, un rocher plus haut sur lequel un personnage est assis. Les végétaux occupent l’espace de manière équilibrée.
Jésus, le Bon Pasteur, est représenté imberbe. A l’époque romaine, il est représenté blond ou roux, sans barbe.
Derrière la scène, le ciel est composé de nuances différentes qui forment un dégradé. Notre esprit accepte d’envisager que ce ciel a une profondeur. Devant, on remarque différentes ombres : au niveau du mouton de gauche, une ombre portée au niveau de la croix (bâton du berger), de ses pieds, etc. Ce sont des essais pour matérialiser au mieux l’espace dans lequel se trouve le berger alors que tout est vertical. Notre cerveau comprend qu’il y a un sol, des rochers, des végétaux. Nous reconstituons un espace alors que la réalité visuelle, à l’exception des ombres, nous montre une représentation plate, verticale, de la scène.

L’impératrice Théodora et sa cour, mosaïque de la basilique San Vitale de Ravenne, VIe siècle.

Un cadre délimite la scène par des bandeaux richement décorés et des éléments verticaux qui cloisonnent les différentes scènes et nous font entrer dans un espace. Les personnages sont disposés l’un devant et l’autre derrière, un groupe sur la droite est fait de personnages juxtaposés, ce qui nous donne une idée de prise de volume dans l’espace. Nous avons vu que, dans l’art de l’antiquité, la juxtaposition était utilisée dans la représentations des chevaux tirant un char. L’artiste reprend une méthode déjà connue.

Théodora, largement auréolée, se tient devant une structure architecturale en demi-coupole. La structure est présente mais la coupole a l’air plate, la représentation d’un volume circulaire n’est pas encore aboutie. La perspective d’objet est plus élaborée pour la fontaine dont la base est correctement représentée alors que le haut de colonne n’est vu que de face. L’intention de l’artiste est de nous montrer que la vasque est circulaire mais il ne parvient pas à la représenter en perspective.
Le sol est marqué par un dégradé de couleurs qui nous fait accepter qu’il s’étend sous les pieds des personnages. Nos yeux le voient vertical mais notre esprit, grâce au dégradé, accepte d’abaisser cette verticalité et de comprendre une horizontalité sous les pieds des personnages.
La porte, derrière la fontaine, est décorée d’un rideau qui nous dévoile un autre espace noir que nous ne voyons pas. Il y a deux plans ! C’est une nouveauté. L’ouverture de la porte est oblique en bas et horizontale en haut, la perspective n’est pas encore maîtrisée. L’intention de l’artiste est de nous montrer un espace au-delà de celui dans lequel se déroule la scène.
Le drapé des costumes montre une certaine lourdeur des tissus qui ne montre pas les corps en-dessous. On sent que les tissus sont lourds, précieux, ne fût-ce que par leurs décorations, par contre on ne sent dessous ni le genou, ni le bras.

L’Empereur Justinien et sa cour, basilique San Vitale de Ravenne, VIe siècle.

C’est le même principe de bandeaux découpés par des élément verticaux. Une succession de personnages avec des éléments devant et derrière, à gauche, une accumulation : quatre soldats avec quatre lances. On prend conscience d’une prise d’espace par le placement de leurs corps.
Il n’y a pas d’ouverture sur un espace extérieur. Justinien est au centre, auréolé : le personnage principal est centralisé.

Représentation géographique de la ville sainte de Jérusalem, au centre de la mosaïque de l’église de Madaba en Jordanie, VIe siècle.

La ville est entourée d’une enceinte avec des murs, des tours défensives et des portes d’entrée. Le problème de l’artiste est de représenter l’espace dans lequel s’inscrit la ville et son aspect circulaire. Il travaille comme nous l’avons vu chez les Egyptiens avec les arbres autour d’un plan d’eau : il incline les tours puis les couche complètement. Il ne maîtrise pas la perspective qui permettrait de représenter l’espace, on peut repérer des essais de perspective d’objets en observant le dessin des maisons, mais ce n’est pas encore très concluant.
Les structures architecturales sont organisées en rangées. L’artiste suit de manière assez servile la ligne oblique pour bien faire comprendre qu’il y a du volume mais ne peut utiliser la perspective qui ne sera inventée que bien plus tard. Le spectateur comprend ce qu’il voit : une ville fortifiée avec de nombreuses tours de guet et une grande densité de l’habitat.

Autre représentation géographique, toujours à Madaba. La mosaïque faisait à l’origine 21 mètres sur 7 et consiste en une représentation géographique qui va du Liban au nord, au delta du Nil au sud.

On retrouve des indications qui permettent de savoir où l’on est, on reconnaît le nom de la ville de Jéricho en bas à droite de cette image. L’ espace est délimité par des lignes courbes foncées tant en haut qu’en bas, les paysages sont évoqués par des arbres. L’artiste montre que la ville est fortifiée et qu’il y a des bâtiments derrière l’enceinte en changeant de couleur : les constructions extérieures sont représentées dans les marrons, les éléments architecturaux à l’intérieur de la ville sont dans les rouges. Les autres villes sont dessinées de manière plus simple mais cela répond à l’intention de montrer le positionnement des différentes villes. Il ajoute des éléments végétaux, palmiers dattiers, un gros buisson… sans respecter aucune proportion.

L’art byzantin

Byzance est la capitale de l’empire romain d’Orient pendant tout le moyen âge. La ville correspond dans l’antiquité à Constantinople et actuellement à Istanbul, en Turquie. L’empire de Byzance se caractérise par une abondante production artistique, un art d’excellence d’une grande richesse, lié à la religion chrétienne orthodoxe.

Icône comnène de Saint Michel (comnène : relatif à une dynastie byzantine ayant régné aux XIe et XIIe siècles). Fin XIe – début XIIe siècle. Trésor de Saint-Marc à Venise.

C’est un couvre-livre en bois recouvert de métal, d’or, de pierres précieuses et d’émaux. Les livres étaient précieux, ceux recouverts de la sorte devaient l’être encore plus.
L’objectif ici n’est pas de développer le thème de Saint Michel ou l’histoire religieuse, ni comment l’art byzantin est présent à Venise, mais de comprendre comment les artistes gèrent l’espace. Il y a ici deux espaces, celui dans lequel Saint Michel est positionné et ensuite tout l’espace alentour qui fait l’objet de représentations religieuses et d’éléments décoratifs rehaussés de pierres précieuses et d’émaux. Ce cadre a pour fonction de délimiter l’espace central. Cette méthode sera souvent utilisée pour montrer qu’il y a un espace parce qu’il y a une limite.

Le personnage central se détache en relief sur un fond qui représente un espace ambigu : des représentations architecturales avec des arcades, ses pieds sont posés sur une coupole ou une sphère dont on ne comprend pas bien la signification. Entre les arcades et derrière saint Michel, il y a un fond bleu sombre avec des petits points blancs, bleu clair, rouges. Qu’est-ce que cela représente ? L’univers ? L’espace ? Le ciel étoilé ? Au niveau du haut des ailes, on a une ligne horizontale qui sépare les motifs décoratifs. Elément architectural ? Décoratif ? L’artiste balance entre l’aspect décoratif et la représentation d’un espace et peu d’indications nous permettent de comprendre cet espace, ce n’est pas la préoccupation centrale de l’artiste qui souhaite surtout représenter saint Michel.

Christ Pantocrator, coupole de l’église Saint-Marc à Venise

Pantocrator signifie tout puissant, souverain de tous. C’est un Christ en gloire, il tient le livre des évangiles de la main gauche sa main droite fait un geste de bénédiction et/ou d’enseignement.
Le fond est tout en or, il représente l’espace de Dieu. Jésus ressuscité est hors de l’espace-temps, inaccessible.

Christ Pantocrator de l’église Sainte-Sophie à Istamboul, mosaïque du XIe siècle

Le Christ est entouré de deux personnages, l’empereur Constantin IX Monomaque et son épouse l’impératrice Zoé. L’empereur et l’impératrice siègent auprès de Lui parce que leur pouvoir découle de Dieu. L’inscription rappelle leur piété et ils portent une auréole, dessinée comme si elle était verticale à l’arrière de la tête. La taille des personnages dépend de leur statut, le Christ est le plus grand, puis l’empereur et enfin l’impératrice. Cela changera à la renaissance, il est donc important de le repérer ici.

Mosaïque de l’église Saint Sauveur-in-Chora, Istambul (Byzance), pendentif de coupole, début du XIVe siècle.

À l’origine, une coupole est posée sur un cylindre porté par des colonnes. Plus tard, les architectes apprennent à répartir le poids des dômes sur quatre piliers en descendant en triangle vers les colonnes, ce que l’on appelle des pendentifs.

Jésus guérit la belle-mère de Pierre. Elle est posée sur un lit qui fait plutôt penser à un cercueil. Les personnages ont plus de corporalité sous le tissu, ils sont de plus en plus réels.
Les courbes et l’effet loupe sont dus à la complexité du travail de représentation de plans verticaux sur des surfaces concaves. Les verticales nous semblent obliques : la photo est prise de face mais en réalité le spectateur est censé se trouver au pied de la colonne, plusieurs mètres plus bas. L’artiste prévoit donc l’erreur de parallaxe qui modifie la forme vue.
Le sol est représenté par un dégradé de couleurs qui va du gris bleu à l’ocre. Derrière les personnages, de petites lignes horizontales manifestent la fin du sol et le début du mur. Nous comprenons que le sol est horizontal alors que sa réalité visuelle est verticale.
On peut voir une perspective d’objet dans une structure architecturale à droite qui semble être une porte. L’artiste nous le fait comprendre en y mettant des arêtes mais amplifie l’impression de volume en y ajoutant des ombres de teintes différentes et des obliques. Derrière l’arche de la porte, il y une autre ouverture avec une tenture pliée puis une zone d’ombre. Nous acceptons que cela ouvre sur un nouvel espace.
On constate un début de perspective chromatique par le travail des couleurs qui nous fait sentir qu’on peut passer d’un lieu à un autre. Il y a quelque chose de l’ordre de la perspective aérienne avec beaucoup de lumière au centre, de l’ombre à gauche et de l’obscurité à droite, en jouant sur cette obscurité pour nous faire croire à un autre espace, ce qui est étrange et paradoxal.

Le moyen âge occidental

En occident à la même époque, un autre répertoire iconographique se développe ainsi que l’art de l’enluminure. Les livres étaient manuscrits, recopiés par les moines au sein des abbayes, et rehaussés de peintures appelées enluminures.

Portrait du Christ, vers 800, le Livre de Kells, folio 32v, manuscrit conservé à la bibliothèque du Trinity Collège de Dublin en Irlande.

On reconnaît le système du cadre qui est ici plus élaboré, avec des éléments qui se décrochent du cadre principal en utilisant des couleurs différentes. L’artiste parvient à nous faire croire à un relief, on a l’impression que le cadre est posé sur quatre pattes. Cet effet est généré par le jeu des lignes et des couleurs. Le cadre est décoré d’éléments décoratifs celtiques.
Le personnage est centré et dans ce cadre, deux autres cadres verticaux à gauche et à droite, puis, en haut, un autre cadre en arrondi avec d’autres éléments décoratifs. Dans les petits cadres rectangles verticaux, on voit deux fois deux personnages dont certains portent des ailes, ce sont des anges. Ils sont les uns sur les autres pour respecter la loi du cadre. Les artistes ont peu de liberté, ils doivent se conformer à un programme iconographique très codé mais aussi à un espace prédéterminé.
Le personnage est dans un espace cerné organisé de manière symétrique. On retrouve des éléments décoratifs, des paons sur des coupes de fruits, au centre, une croix. Il est assis sur une chaise dont on ne voit pas les pieds, en réalité on n’en voit que les deux barreaux supérieurs. Le corps sous le vêtement est esquissé par quelques lignes au niveau du genou. On voit moins le corps que ce que l’on voyait chez les Romains. Le pied droit sort légèrement du cadre, comme s’il passait devant l’élément circulaire alors que le pied gauche est derrière ce cercle rouge. Nous avons l’impression que le personnage sort de l’espace dans lequel il se situe, cela donne de l’amplitude au corps, de la matérialité et de la vie au personnage.

La gestion de l’espace est très secondaire à l’époque, l’artiste ne s’en soucie pas. L’objectif est d’illustrer le sujet principal, le portrait du Christ. Tout est rempli, nous retrouvons l’horreur du vide.

Peu de peinture médiévale est parvenue jusqu’à nous, leur conservation est évidemment très problématique.
Les fresques de l’église abbatiale de Saint-Savin-sur-Gartempe en sont un rare exemple : 460 m² de décors datant du XIe siècle. Située dans le département de la Vienne, l’abbaye est à mi-chemin entre Poitiers et Limoges.

Nous voyons ici une voûte en berceau dont le décor est séparé longitudinalement par un élément central, chaque côté est organisé en registres dont les différentes scènes sont séparées par des lignes verticales et des changements de couleurs.
On reconnaît l’Arche de Noé, une autre scène avec Jésus et des personnages. Il n’y a pas de respect des proportions ni de chronologie d’un épisode à l’autre.
Pour faire prendre conscience qu’il y a un espace, les personnages sont les uns derrière les autres, nous retrouvons des juxtapositions. Sur la gauche, un escalier sépare le sol du mur. Dans la réalité visuelle, ce sol n’est qu’une surface verte, verticale, mais comme il y a cet escalier, notre esprit accepte de comprendre qu’il y a un sol et un mur. Les artistes du moyen âge utilisent les outils déjà utilisés dans l’antiquité. Le drapé est modelé sur le personnage central bien qu’on ne sente pas le corps dessous. Comme chez les Grecs ou les Romains, les artistes nous indiquent le genou avec deux petites lignes courbes.

La Tapisserie de Bayeux, (70 cm x 68,38 m), entre 1066 et 1082, conservée en Normandie.

Ce n’est pas une tapisserie mais un long tissu brodé au point de Bayeux. L’œuvre raconte la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant.

Un registre central raconte la scène. Les bandeaux qui l’encadrent au-dessus et en dessous forment des frises décoratives faites d’obliques avec des animaux et d’autres éléments qui n’ont pas vraiment de lien avec la scène principale.
Juste au-dessus du bandeau inférieur, de petits demi-cercles se répètent tout au long de la broderie pour marquer le sol, comme s’il s’agissait de galets ou de mottes de terre. L’espace est représenté par une superposition de chevaux de couleurs différentes. Les couleurs des pattes sont plus foncées pour marquer l’ombre portée du corps du cheval.

La bataille de Hastings
On retrouve le registre central, les bandes décoratives, la ligne du sol, des éléments devant ou derrière (l’épée, les pieds du soldat tombé, les boucliers). L’espace narratif s’ouvre, la scène se poursuit sous la ligne du sol et des éléments liés à la bataille prennent place dans la frise décorative.
L’objectif était de raconter la Bataille De Hastings et non de décrire la réalité des proportions des différents personnages ni de se préoccuper de l’espace qui n’est évoqué que par les superpositions.

Cette structure architecturale s’appelle une « motte.» C’est l’ancêtre du château fort, il s’agit d’une structure construite en bois sur un monticule de terre. La motte est ici représentée par la courbe jaune doublée d’une ligne grise. La structure monte jusque dans le bandeau décoratif qui est interrompu. L’image est totalement irréaliste puisque la motte est pleine et bien plus haute que la hauteur d’un homme mais les brodeuses ont voulu représenter un combat et l’ont situé là. Remplir la motte de points sombres aurait été nettement moins intéressant visuellement. La masse blanche cernée par la double ligne a pour objectif de mettre en valeur et de laisser voir l’action des deux soldats qui tentent de bouter le feu à la structure de bois qui est sur la motte.

Ici, le sol prend de plus en plus de réalisme, et on retrouve le devant /derrière, des superpositions et des couleurs différentes pour signifier le volume au niveau des pattes des chevaux.

La fin du moyen âge

DUCCIO, Maestà (majesté), 1308, Museo dell’Opera Metropolitana del Duomo à Sienne, taille actuelle (réduite) : hauteur 2,14 m, largeur, 4,12 m.

Le XIVe siècle en Italie est marquée par une première renaissance des arts. Cette œuvre est à la charnière de l’art médiéval est de cette première renaissance. Son sujet religieux est central et nous verrons qu’à la renaissance l’humanisme prendra de plus en plus de place, l’homme sera au centre même si le sujet religieux reste longtemps présent. La religion en elle-même ne sera pas remise en question avant les philosophes des lumières plusieurs siècles plus tard.

Ici, ce qu’on voit en premier, c’est la Vierge en majesté, située au centre d’une organisation symétrique. Tous les principes mathématiques de la gestion de l’espace ajoutés ici sont typiquement renaissants.
On remarque des problèmes de proportion, particulièrement dans la taille des personnages. Les auréoles sont placées verticalement derrière la tête même quand le visage est de profil : le personnage vêtu de rouge en bas à droite a l’auréole collée à son oreille. Une seule auréole, plus haut sur la même rangée, est positionnée avec un effet de perspective, toutes les autres sont de simples disques. Cela reste une construction médiévale.
Le fond d’or est également typiquement médiéval, venu tout droit de l’art byzantin. Les personnages sont en ligne, les uns derrière les autres, ce qui nous donne une impression de prise de place dans un espace.
Le trône est représenté avec une tentative de perspective d’objet, son socle est dessiné avec des obliques qui lui donnent une matérialité et montrent que le trône prend de la place dans un espace dont le fond d’or nous indique qu’il s’agit d’un espace immatériel, divin, inaccessible, sans le moindre paysage, ce qui changera à la seconde renaissance. Avec l’humanisme, on représentera l’homme au centre de son univers, dans un espace représenté très différemment.

Première renaissance

GIOTTO, Basilique Saint-François à Assise, fresques, fin du XIIIe siècle.

Travailler ‘a fresco’ ou ‘dans le frais’ consiste à enduire le mur de plâtre et immédiatement, avant que le plâtre ne sèche, à poser le dessin préparé et picoté, en tapotant de la cendre pour déterminer les contours. On peint ensuite de manière à ce que les pigments soient pris dans le plâtre au séchage. Ce travail demande une longue préparation et une grande rapidité d’exécution.
Les fresques sont organisées en registres séparés par des structures qui délimitent différentes scènes.

Giotto, Les démons chassés d’Arezzo par saint François.

Les proportions ne sont pas encore respectées lors de la première renaissance. C’est un des éléments qui nous permettront de distinguer les œuvres de la seconde renaissance, lorsque les artistes, se basant sur des calculs mathématiques, se feront un devoir de respecter toutes les proportions.

La ville est représentée avec ses rempart, ses tours d’accès et ses portes où on peut voir des personnages qui entrent et sortent. L’enceinte, crénelée, entoure la ville. Giotto nous montre une ville médiévale au bâti serré. Tous les éléments sont les uns à côté des autres, chaque bâtiment est dans une couleur différente, ce qui met en évidence les arrêtes et les façades. On observe une perspective d’objets qui, associée à la couleur, nous fait prendre conscience de la complexité urbaine d’une ville médiévale où tout apparaît comme étant compact. A gauche, l’église est très grande pour en montrer l’importance : la perspective hiératique modifie les proportions pour mettre en évidence ce qui est le plus important.
On remarque le sol fissuré qui rappelle le risque de descendre aux enfers. La lumière vient de droite mais certains bâtiments sont éclairés, d’autres pas : on n’est pas encore dans la réalité du positionnement de la lumière. L’artiste n’a pas pour intention de faire une représentation réelle d’un paysage urbain.

GIOTTO, La rencontre de Joaquim et d’Anne à la porte d’or, 1303-1306, Fresque, 200 x 185 cm. Fresque n°6 de la chapelle Scrovegni à Padoue.

On retrouve un problème de proportion dans la taille des personnages par rapport au bâtiment. L’intérêt du peintre est de représenter la scène décrite. Les femmes ont l’air d’être toutes les mêmes, seuls leurs vêtements et leur coiffure changent. En avançant dans le temps, nous découvrirons des visages de plus en plus différenciés : c’est un des critères de l’humanisme de la renaissance.

Giotto décrit l’espace en mettant tous ses personnages sur un pont avec des arcades qui semble très petit. Les spectateurs sont de l’autre côté du pont, hors cadre. Le sol, à gauche, s’arrête et une surface verticale bleue représente le ciel. Nous n’avons pas de grands indicateurs spatiaux : la partie ocre du sol est visuellement verticale, c’est nous qui le comprenons comme un élément horizontal, Giotto ne nous en donne aucun indice.
Giotto nous montre l’extérieur mais aussi l’intérieur du bâtiment, avec une perspective d’objet pour la tour et une structure collée au mur intérieur sous laquelle Giotto a marqué une zone d’ombre qui renforce la compréhension du volume du bâtiment. Par contre, les murs sont plats, sans matérialité, les créneaux n’ont pas de volume. Le volume réapparaît sous l’arcade. La petite structure architecturale intérieure n’a pas d’autre fonction que de nous faire comprendre qu’il y a de l’espace.

Lorenzetti AMBROGRIO, Le bon et le mauvais gouvernement, fresque du palais public de Sienne, peinte en 1338-1339.

Il s’agit d’une très grande fresque de propagande politique en plusieurs tableaux de plus de 2 mètres de haut et jusqu’à 7,7 mètres de long.

Le peintre nous montre la ville et toutes les activités. Il y a plus d’espace entre les bâtiments avec parfois des personnages à l’intérieur de ceux-ci, d’autres personnages dans les rues. On garde l’aspect resserré du bâti, ce qui correspond aux villes du moyen âge aux rues étroites serpentant entre les différents quartiers. La ville est entourée d’un rempart. Le spectateur est situé en hauteur. Le mur le plus proche de nous n’a aucune matérialité, un peu plus loin il prend de l’épaisseur. Les artistes sont encore dans une certaine difficulté de représentation du volume. Par contre, certains bâtiments sont représentés dans une construction de perspective d’objet tout à fait acceptable. Le bâtiment noir sur la gauche nous montre une plus grande maîtrise de la perspective même si la vraie perspective n’existe pas encore. La matérialité est rendue encore plus perceptive par les ombres intenses. A l’intérieur de l’arcade, du noir profond nous montre un espace dans lequel travaillent des artisans. Dans le dessus de ce même bâtiment, les ouvertures avec des colonnes respectent les obliques.
Le sol monte, comme s’il s’agissait d’une perspective rabattue. Les personnages vaquent à leurs occupations, un homme transporte une grosse balle de foin sur sa tête, d’autres jouent de la musique et dansent : les classes laborieuses, les nobles et les bourgeois cohabitent dans le même espace urbain. On voit sur la gauche une dame à cheval et sa suite. On appelle « bourgeois » les habitants du bourg, de la ville. Leur richesse vient de leur travail, contrairement aux nobles qui tirent les richesses de leurs possessions terriennes mises en valeur par les paysans. Le terme de bourgeois a une toute autre signification aujourd’hui.

Cette œuvre est réalisée suite à une commande politique. Son objectif est d’illustrer les conséquences de la bonne manière de gouverner les villes dans lesquelles les différentes classes sociales ont leur place.
Aucune proportion n’est respectée. Les outils ne sont pas encore disponibles et ce n’est pas l’intention de l’artiste qui doit représenter un message d’ordre politique. Notons qu’il n’y a aucun sujet religieux représenté, ce qui est tout à fait exceptionnel.