Cornelia PARKER, 1956,

Artiste britannique.


En lien avec le travail de Ruth Asawa, elle utilise les objets de la vie quotidienne pour questionner notre relation aux objets et au monde. La notion d’espace est encore plus utilisée que chez Asawa qui s’intéresse également au hasard.
HA La notion de hasard est presque devenue un procédé technique dans l’art du vingtième siècle pour contrer l’aspect construit, réfléchi, suivant des règles, de l’art traditionnel. Les artistes, à partir de 1950, exploitent le hasard dans leur production pour créer des œuvres qui n’ont jamais été réalisées auparavant. Il leur permet d’ouvrir le champ des résultats.

Parker s’intéresse également aux forces destructrices des éléments naturels ainsi qu’à celles provoquées par la main de l’homme. Elle travaille avec des objets brûlés, elle les fait tomber, exploser pour ensuite les réassembler, les reconstituer, leur redonner vie.

Froide matière noire, vue éclatée, 1991.

Les différentes photos montrent différents éclairages et angles de vue. Il s’agit d’une cabane de jardin que l’armée britannique a fait exploser à sa demande. Elle en a récupéré les fragments qu’elle reconstitue. Si on n’était pas informé du fait qu’il s’agissait au départ d’une cabane de jardin, on n’aurait pas pu le deviner.
Elle reconstruit le moment de la déflagration, les éléments sont figés dans l’air suite à l’explosion, le temps s’est arrêté. On voit des éléments de la cabane et de son contenu : roue de vélo, enjoliveur, quelques éléments colorés…

Le résultat de l’œuvre fait référence à d’autres œuvres. César a produit des explosions mais il colle les éléments sur une plaque pour en refaire une espèce de tableau, un peu comme Spoerri.

Rodchenko et les constructivistes produisent des œuvres suspendues. La sculpture n’a plus besoin du sol, et il y a autant de plein que de vide, le vide est constitutif de l’œuvre. Les éléments sont suspendus par Cornelia Parker sans que nous puissions voir comment ça tient.
Cette typologie de sculpture s’appelle un environnement. Une installation est constituée de différents éléments associés pour créer une œuvre en 3D. Ce qui fait fonctionner cette installation ci, c’est l’ombre projetée dans l’espace. Quand on a une installation dans laquelle l’espace joue un rôle important dans le fonctionnement de l’œuvre, cela dépasse l’installation pour devenir un environnement. En sculpture, les typologies diverses sont : le relief, la ronde-bosse, l’accumulation (installation désorganisée dans laquelle sont juxtaposés des éléments), l’installation, et l’environnement.
La lumière est absorbée sur tous les éléments suspendus. Cette absorption est indispensable à la perception de l’œuvre, de sa couleur, des différentes surfaces. Quelques éléments semblent brillants, on se pose la question de la réflexion de la lumière, il serait préférable de voir l’œuvre en direct plutôt qu’en photo. Peut-être s’agit-il de la source de lumière centrale ? Celle-ci génère des ombres portées qui amplifient l’installation dans l’espace et cette dilatation fait vraiment partie de l’œuvre.
La rencontre avec cet environnement provoque de nombreux questionnements. On n’est plus dans la même recherche esthétique que précédemment. Avant, on attendait d’être touché par une œuvre, on cherchait de la beauté. Ici, l’esthétique au sens premier du terme n’est pas du tout son objectif. Nous sommes seulement touchés au niveau intellectuel : qu’est-ce ? comment cela tient-il ? Il s’agit d’une forme d’art appelée ‘art conceptuel’.

Le cœur de l’obscurité, 2004.


Le grillage au-dessus qui soutient les fils de suspension nous rappelle les pénétrables de Jesus-Rafael Soto dans lesquels il reconstitue des volumes par des éléments suspendus dans un espace où le plein et le vide sont aussi importants.
Ici, ce sont des morceaux de bois d’une forêt qui a brûlé. En terme de taille, cela fait 323× 3.96×3.23 cm . C’est donc presque un cube, reconstitué par ces morceaux de bois calcinés.
La lumière est absorbée, elle met en évidence les bois brûlés et leur non-couleur noire qui a un effet plus puissant que les couleurs.
Arman a produit une série de « Colères. »

Arman, Colère de contrebasse, 1970

Quels sont les éléments semblables entre le « Cœur de l’obscurité » de Cornelia Parker et cette œuvre d’Arman ? Des morceaux éclatés, des bois brûlés, noirs. Arman met le feu à des objets. Il nomme aussi certaines œuvres « feu » dans le sens d’incendie mais aussi du défunt.
Quels sont les différences ? Arman place les éléments dans des parallélépipèdes de résine transparente, c’est une forme de « mise en boîte » (HA Duchamp). La lumière est absorbée, elle met en évidence les éléments et produit une ombre portée. Il n’y a pas de vide, la résine transparente comble tout l’espace en nous faisant croire au vide mais il n’en est rien. Ce n’est pas un environnement, ce serait plutôt une ronde-bosse au toucher doux, avec une surface lisse. L’intention est différente : il emprisonne pour l’éternité. L’objectif d’Arman est de donner vie à un objet de rebut (noble, c’est une contrebasse). Il génère un paradoxe en l’encadrant dans un bloc de résine qui persiste éternellement. On peut faire le rapprochement avec la momification des haut dignitaires égyptiens et surtout avec les sculptures les représentant pour l’éternité. Le temps est dilaté.
La démarche de Cornelia Parker est différente. Elle expose des éléments d’une forêt brûlée. Son intention, en 2004, est de sensibiliser à l’écologie, aux risques que court la planète. Elle nous conscientise : la forêt brûle !

Dans l’explosion de la cabane, elle travaille sur l’énergie qui doit être déployée pour faire bouger tous ces éléments. Elle nous confronte à l’instant de l’explosion et nous fait prendre conscience de l’espace autour de nous. Il y a donc la notion de temps, d’énergie et d’espace. L’art conceptuel nous invite à réfléchir à des thématiques différentes. Que reste-t-il de tout cela ? Quid de notre responsabilité ? Que restera-t-il de notre planète ? Sommes-nous des créateurs ou des destructeurs ?
Avec le cœur de l’obscurité, l’artiste nous confronte à ces questions en utilisant très peu d’éléments, comme dans l’art minimaliste. Elle provoque en nous des réactions très diversifiées et de nombreuses questions.

Subconscient d’un monument, 2001.


Des morceaux de pierre sont suspendus. Elle fait référence à la Tour de Pise qui doit être sauvée de la destruction. La lumière met en évidence ces petites pierres jaunâtres : elle est absorbée par leur surface. Il y a également des jeux d’ombre et de lumière, ainsi que de l’ombre portée au sol.

Anish KAPOOR, né en Inde en 1954

Artiste britannique dont l’immense atelier est à Londres.


Son œuvre est polymorphe, nous ne verrons ici que deux œuvres en lien avec la lumière. L’année prochaine, dans le thème de la couleur, nous découvrirons plus longuement cet artiste.

Cloud Gate (porte des nuages), 2004, Chicago, 10 m / 20 m / 13 m

Surnommée le ‘Haricot’ par les habitants de Chicago. 100 tonnes d’acier inoxydable avec des plaques soudées … les soudures sont totalement invisibles.
La surface polie reflète la lumière et tout l’espace environnant qu’elle dilate. L’œuvre tire sa vie de ce reflet changeant en fonction de la lumière, des spectateurs, des nuages… seuls les bâtiment restent figés mais leur luminosité évolue également. Anish Kapoor veut nous offrir une nouvelle perception d’un espace connu. L’espace urbain est immobile mais tout bouge alentour. L’artiste nous montre la mutation d’un espace que l’on connaît et qui n’est jamais le même. C’est à nouveau une démarche conceptuelle.

On voit sur cette photo Anish Kapoor sous le haricot, son reflet et celui de tout l’espace déformé, étiré, démultiplié à la façon d’un kaléidoscope. Cela rajoute une dimension ludique.

Descente dans les limbes, 1992.

Il y en avait une à la fondation De Pont à Tilburg, aux Pays-Bas. Un cercle noir, un trou béant… art conceptuel minimaliste. La lumière est totalement absorbée. Le noir absolu nous attire alors qu’il n’y a rien. Le rien de l’infini.


Question à propos des limbes : ce serait un lieu imprécis, entre l’enfer et le paradis ? Anish Kapoor n’est pas de culture chrétienne. Il a sans doute utilisé le terme ‘limbes’ pour parler d’un espace infini où l’on se perd. Il exploite un paradoxe : l’œuvre occupe un espace limité qui est cependant perçu comme infini. Il a également évoqué les trous noirs de l’espace dans des œuvres verticales placées au mur.

Les expressions artistiques que nous allons découvrir maintenant sortent tellement du cadre traditionnel de ce que l’on imagine que doit être une œuvre d’art ou un travail artistique que cela risque d’être difficile à recevoir et comprendre pour certains.
Depuis Marcel Duchamp, nous avons appris que l’artiste était en droit de déterminer ce qu’il élevait au rang d’œuvre d’art de même que d’utiliser des procédés techniques qui n’ont plus rien de conventionnels.

Ann Veronika JANSSENS, née en 1956.

Artiste plasticienne belge


Elle est née et a fait des études d’histoire de l’art en Angleterre, ce qui fait que l’on dit parfois qu’elle est anglaise mais elle a également étudié à la Cambre à Bruxelles. Depuis le milieu des années 80, elle fait des recherches pour déstabiliser le spectateur. Elle génère une nouvelle perception de l’espace en utilisant la lumière associée à la couleur. Elle utilise des éléments transparents comme le verre, réfléchissants comme le miroir. Verres et miroirs ouvrent à des propositions très riches en terme de lumière et de résultats. Les matières diffusent une lumière qui peut être colorée, elle y ajoute souvent de la fumée. Cela produit un bouleversement dans la perception de l’espace et à certains moments, on n’y comprend plus rien. Elle utilise des matériaux assez simples, voire pauvres : du bois aggloméré, du verre et du béton. A côté de ces éléments très matériels, elle utilise des éléments immatériels : la lumière, la couleur, le brouillard et, à certains moments, du son. Ce sont des éléments que l’on perçoit sans pouvoir les prendre en main.
A côté de l’altération de la perception de l’espace qui provoque un questionnement, elle cherche la relation du corps à l’espace en confrontant le spectateur à des expériences corporelles liées à l’espace en travaillant l’immersion dans des environnements. Son intention est de provoquer des ressentis physiques, sensoriels par rapport à l’espace environnant. Elle dit vouloir confronter le spectateur à « l’insaisissable. » Cette confrontation se fait par l’expérience sensorielle.


Dans certaines de ses œuvres, on ne sait plus où on est, on ne contrôle plus rien, on ne comprend pas du tout l’espace. C’est une déconstruction de la compréhension de l’espace. Elle fait confiance au spectateur qui va être amené jusqu’à ses émotions profondes, instinctives parce qu’il y perte de contrôle de la raison.
Nous voyons d’abord des productions de faction relativement traditionnelle. Elle leur donne souvent un nom en rapport avec la couleur utilisée.

Cocktail structure, 2006.

Elle favorise des lignes géométriques traditionnelles basées sur le cube, les arrêtes… C’est rectiligne. Le socle est une partie technique qui lui permet de faire émerger ce qui se passe au-dessus. Nous voyons un cube dont il manque certaines arrêtes et à l’intérieur duquel les couleurs sont découpées sans qu’on comprenne comment cela fonctionne, même en s’approchant. Elle travaille avec de l’eau, de l’huile, du pigment, du verre et des miroirs.
On repère l’élément liquide, la feuille jaune. Il y a diffraction, réflexion, absorption… et bien sûr interrogation !

Blue, red and jellow, 2001.3,60 x 4,75 x 9,33 mètres.


Elle joue avec des projections de lumière qui colorent l’espace empli de brouillard. C’est un environnement dans lequel les spectateurs entrent et ne voient plus que la couleur. Il leur est impossible de voir les limites du lieu, de savoir où ils sont, de se repérer dans l’espace.

Remarquons les termes qu’elle utilise : elle dilate l’espace dont elle fait exploser les limites pour créer une espèce d’infini dans un lieu pourtant limité. Les couleurs multiples et le brouillard font que l’on est perdu. On ressent les différentes couleurs, l’espace est perçu de manière plus intense et, tout cela provoque une décélération. Les spectateurs ralentissent pour percevoir cet accès dans la couleur.
Certains ont filmé l’expérience de l’intérieur. A part la couleur brumeuse, on ne voit rien, on a peur d’avancer.

On peut mettre cette œuvre de 2001 en rapport avec un artiste considéré comme le pape de la 3D travaillant la lumière, Olafur Eliasson qui, huit ans plus tard, en 2009, réalise Your atmospheric colour atlas (Atlas de vos couleurs atmosphériques) au musée d’art contemporain à Kanazawa au Japon. On a beaucoup plus parlé de son œuvre que de celle de Janssens… un exemple de plus de l’invisibilisation du travail de la femme artiste.

Olafur Eliasson your atmospheric colour atlas 2009

La préparation de la rétrospective de son œuvre à la fondation De Pont à Tilburg a été filmée, cela nous permet de comprendre comment fonctionnent certaines de ses œuvres.

Les mots clés : brouillard, immersion, couleur, brillance, perception, hasard, reflets, réfraction, perte de repères, dilatation…

Dans le travail de Janssens, la lumière est associée à la couleur. C’est la combinaison des deux qui fait prendre conscience (ou pas) de l’espace.