Olafur ELIASSON, 1967
Danois-Islandais
Il est né en au Danemark mais passe son enfance en Islande où il développe un contact essentiel avec la nature. Il est considéré comme le pape de l’utilisation de la lumière dans l’art. Son objectif est de provoquer des sensations en utilisant la lumière associée aux couleurs. Lumière et couleur sont ses procédés techniques essentiels.
Sa production artistique est étendue, nous nous intéresserons à ses œuvres récentes, à partir de 2000. La première correspond plus ou moins à ce que l’on attend de la sculpture, les suivantes s’en éloignent nettement. Les sculpteurs, tout au long du vingtième siècle, sont sortis progressivement de la ronde-bosse pour arriver aux installations et environnements mais ce que propose Eliasson est encore d’un autre ordre.
Son studio de travail est à Berlin, il y emploie quatre-vingt collaborateurs : des techniciens, des architectes, des scientifiques, des plasticiens, des historiens de l’art. Il s’appuie sur toutes ces disciplines pour alimenter sa réflexion de manière à atteindre les objectifs qu’il se donne pour créer ses œuvres. Il se sert de cette interdisciplinarité pour aboutir à la matérialisation de ses intentions. La multitude de formes que présente son art provient probablement de cette richesse de regards auquel il fait appel pour réaliser ses œuvres.
« L’Islande est mon paysage personnel. Le soleil est si bas sur l’horizon qu’il allonge sans fin les ombres et modifie toutes les perceptions. Votre sensibilité y est stimulée et vous permet d’aborder l’univers comme une expérience. »
Les mots clés : le soleil qui éclaire d’une manière particulière en produisant les ombres qui modifient les perceptions ; la sensibilité est stimulée pour aborder l’univers comme une expérience.
« Ayant grandi au Danemark, j’ai été très influencé par les idéaux du modèle scandinave. L’état providence, la conviction de faire partie d’une économie humaniste et le vif sentiment d’interdépendance qui en résulte. »
L’Etat providence avec une dimension humaniste : la conception de la société scandinave est différente de celle de notre culture d’Europe continentale occidentale. Il se revendique d’un art éco-responsable.
Your spiral view, 2002
Tunnel de huit mètres de long en métal dans lequel on peut entrer en montant sur la passerelle qui le traverse. Il est constitué d’acier poli aux multiples facettes qui font office de miroirs. Deux spirales en sens opposé s’épousent l’une l’autre.
Il s’agit d’une sculpture relativement traditionnelle. Ce qui change, c’est que l’on peut y pénétrer, ce qui n’est pas vraiment nouveau puisque cela existe depuis les années 20 (HA Merzbau de Schwitters). Il n’y a pas de socle, il est directement posé au sol mais on en a pris l’habitude depuis Brancusi. S’agit-il d’un environnement ? On pourrait le mettre ailleurs, il fonctionnerait de la même manière. Ce n’est donc pas un environnement ni une installation, ce serait plutôt de l’ordre de la ronde-bosse. C’est un objet « sculpture » dans lequel on peut entrer. Eliasson joue avec les limites des typologies de sculpture.
Grâce à la lumière, il y a des reflets multiples de tout ce qui entoure l’œuvre ou y pénètre : l’espace, les spectateurs. L’effet est une démultiplication de l’espace qui est fragmenté par toutes les facettes, ce qui induit une perte des repères spatiaux, une désorientation, un sentiment d’apesanteur. On ne sait plus trop où on est et la vision de la sortie quelques mètres plus loin rassure… Grâce au jeu de lumière, en travaillant la réflexion sur les éléments d’acier poli qui jouent leur rôle de miroir, Eliasson agit sur la notion d’espace.
C’est le fruit d’un important travail en amont. Les maquettes de cartons annotées de signaux de couleurs différentes nous renseignent sur l’étude préalable.
La double spirale nous rappelle des éléments naturels comme les coquillages. Bien que l’œuvre soit métallique, on ne peut passer à côté de cette référence à la nature. Cela mène presque vers la spatiotemporalité : en entrant dans ce tunnel cela crée un mouvement qui semble se rapprocher d’un vortex. On a la sensation d’être dans le temps qui bouge, on avance dans un espace qui a perdu sa stabilité.
L’œuvre qui l’a vraiment fait connaître s’appelle le « Projet météorologique » à la Tate Modern de Londres en 2003.
Eliasson occupe un des plus grands espaces intérieurs qui a été complètement vidé. Le plafond, très haut, a été recouvert de miroirs qui reflètent ce qui se passe au sol. Il fait émerger une lumière qui évoque un lever de soleil et il y a du brouillard.
Les spectateurs entrent dans l’espace baigné de cette lumière jaune orangée évolutive, la brume et les miroirs bousculent la perception de l’espace, du temps qui passe. Deux millions de spectateurs ! Les gens se couchaient au sol pour être imprégnés de cette ambiance à la limite du mystique, non pas le mysticisme religieux mais bien celui qui touche à l’univers, à la nature, à notre manière d’être en contact avec ce qui nous entoure, tout cela malgré que ce soit le fruit d’un processus artificiel. Les gens s’y croyaient tellement qu’ils y restaient des heures à regarder leur reflet dans cette ambiance colorée, changeante dans la brume.
Il était également possible de monter sur une passerelle dans l’axe du soleil. On perçoit le volume parallélépipédique dans lequel tout cela se passe, la réverbération en haut de ce qui se passe en bas.
Qu’est-ce que l’espace peut provoquer comme sensations et comme émotions dans notre corps et notre esprit ? C’est la question proposée par l’œuvre. Qu’est-ce que je ressens en entrant dans cet espace dont je connais pourtant les limites ? Eliasson veut faire travailler nos sensations corporelles, pas seulement notre réflexion intellectuelle.
Les deux procédés techniques majeurs sont ici l’espace et la lumière associée à la couleur, avec un énorme miroir. Il n’utilise aucun des autres procédés techniques que tout sculpteur travaille naturellement : le volume, la ligne, l’état du surface. Il ne sculpte rien du tout. En terme de typologie, on est dans l’environnement. L’espace joue un rôle majoritaire pour vivre ce qu’il nomme « une expérience sensitive de l’univers. »
La biosphère des lucioles, 2022
Il se réapproprie la boule à facettes des dancings des années 70 et 80. Une sphère comprenant une source de lumière est suspendue, sa surface est composée de facettes de verre coloré qui induisent des reflets et génèrent de la confusion dans la perception de la surface de la sphère.
Au-delà de celle-ci, on observe la quatrième dimension de la lumière en 3D, la projection de la lumière et des ombres dans l’espace qui démultiplient l’objet et donnent une perception altérée, étrange, de l’espace.
La sphère est suspendue et peut bouger naturellement en fonction des mouvements de l’air, il n’y a pas de moteur pour l’actionner. Rodchenko pendait ses sculptures à un fil et elles bougeaient de la même manière. Ici, le moindre mouvement de quelques millimètres est amplifié dans les projections sur les murs. L’espace est dématérialisé, amplifié. La démarche d’Eliasson est d’aller au-delà du volume, de l’exploser pour générer un nouveau type d’espace.
Le jardin des perles, 2023
Olafur Eliasson collabore avec le Musée national du Qatar pour plusieurs commandes. Il est reconnu au niveau international et les mécènes du monde entier lui passent des commandes. Le Qatar a de gros moyens, c’est le moins qu’on puisse dire, et plusieurs d’œuvres d’Eliasson y sont installées.
Des sphères de verre sont disposées au sol, formant un cercle. Un cercle métallique porté par des éléments verticaux entoure le cercle de perles, des toiles noires et blanches y sont suspendues. Un dispositif d’éclairage autonome est incorporé : des cellules photovoltaïques font le plein d’énergie le jour pour éclairer les perles à la nuit tombée.
Les perles de verre sont de tailles différentes, elles contiennent des bulles, certaines sont plus colorées que d’autres. C’est une forme d’accumulation. Le verre reflète la lumière et l’espace alentour.
Le cercle nous rappelle les cercles de Richard Long, land artiste qui utilise les pierres et autres éléments de la nature mais la démarche d’Eliasson est différente.
Your fivefold vanishing points, vos cinq points de fuite, 2023.
On retrouve l’armature circulaire montée sur des pieds et les éléments d’éclairage. Les tissus forment un dégradé de couleurs. En cinq points différents, un miroir circulaire est disposé sur un pied. Chacun des miroirs est disposé de manière à produire le reflet de l’espace environnant et de l’image renvoyée par les autres miroirs. Cela donne une perception étrange de l’espace. Le dispositif semble très simple mais le résultat obtenu est totalement inattendu. Cela nous fait penser à de la peinture abstraite… La mise en abyme et l’éclatement de l’espace viennent simplement des reflets dans les miroirs.
La photographie nous permet de nous rendre compte du champ des possibles mais elle est très esthétisante, elle ne nous montre qu’un aspect séducteur de l’œuvre, une image figée alors que l’expérience sur place nous permettrait de percevoir que tout bouge, que l’amplification de l’espace provoque une perte de repères.
Notre vision, depuis le quatorzième siècle, est conditionnée par la perspective linéaire. Il joue ici avec des angles de 72° qui donnent des perceptions obliques auxquelles on ne s’attend pas, ce qui nous perd.
The dewdrop agora, 2024.
Des sphères de verre coloré sont posées sur une structure métallique noire accrochée au mur. Les portants reçoivent chacune des perles, ils sont plus ou moins épais en fonction du poids à porter. Le verre provoque des reflets en fonction de la lumière qui l’éclaire. Cette lumière met également en évidence la couleur par son effet d’absorption. Eliasson travaille également sur des éléments de taille plus raisonnable.
Under the Weather, 2022, palais Strozzi à Florence.
Il installe à 8 mètres de haut un écran ovale de 11 mètres de diamètre avec un motif décoratif. Il associe, comme souvent, lumière et couleur : il s’agit ici d’une lumière orangée. Le motif décoratif est moiré, il a été élaboré conjointement avec un département de physique et d’astronomie pour générer des effets changeants. Il a fait appel à des études scientifiques pointues. Les sources de lumière sont au-dessus de l’écran. Eliasson nous fait partir ailleurs dans l’univers et nous laisse dans un émerveillement rempli de questions quant au fonctionnement. Ces questions restent souvent sans réponse pour le spectateur.
Je vous invite a regarder cette vidéo en fin d’article : https://olafureliasson.net/artwork/under-the-weather-2022/
Est-ce de l’art conceptuel ? Les œuvres de Eliasson parlent à la sensibilité du spectateur, ce que l’art conceptuel ne fait pas d’ordinaire. On préfère alors parler d’art abstrait. Il utilise des grandes idées et des recherches comme dans l’art conceptuel mais la transmission des émotions et des sensations fait que cela sort du conceptuel qui ne reste qu’au niveau de la réflexion intellectuelle et ne descend pas aux sensations physiques et émotionnelles.
La grande surface de l’écran fait que le spectateur situé en dessous de l’œuvre ne voit plus qu’elle, l’espace alentour n’est plus visible. Cela fait entrer dans une sorte d’espace mouvant et provoque une expérience physique face une proposition de perception modifiée de l’espace.
Shadows travelling on the sea of the day, les ombres voyageant sur la mer du jour. 2022
En un lieu perdu au cœur du désert du Qatar, l’œuvre peut faire penser à une démarche du Land Art.
Des demi-sphères portent des espèces de soucoupes disposées de manière apparemment aléatoire, quelques sphères verticales aux alentours évoquent une forme d’art minimaliste. La lumière du jour éclaire l’œuvre de manière changeante.
A l’envers des soucoupes sont posés des miroirs qui reflètent le sable et les visiteurs mais aussi les arcs métalliques : on perçoit des cercles complets reconstitués par les différents reflets des arcs alentour. On a le sentiment que les demi-cercles sont des cercles ! Tout cela modifie la perception de l’espace, donne l’impression de ne plus être sur terre, d’avoir rejoint un ailleurs. La perspective centrale est éjectée.
La conception et la création de cette œuvre ne doit rien au hasard, c’est le fruit de calcul complexes et d’une longue maturation faite de propositions successives et constructions de maquettes en atelier. La disposition sur le site est également pensée en fonction de l’orientation face au soleil qui provoquera les ombres « qui voyagent sur la mer du jour. »
L’œuvre est un environnement : l’espace est complètement partie prenante dans l’installation. Eliasson travaille l’anneau parce qu’il symbolise le cosmos et qu’il agit comme une fenêtre d’ouverture sur le ciel mais aussi comme une limite. On est en plein dans la culture du paradoxe : ouverture / limite. Sous les soucoupes, les miroirs reflètent la terre. C’est un autre paradoxe : le regard vers le sol nous donne à voir un espace proche, limité, mais lorsqu’on regarde en haut, le reflet nous fait partir dans l’infini. C’est le paradoxe du plus proche / plus loin, l’infiniment petit du grain de sable / l’infiniment grand de l’univers qui s’ouvre devant nous. C’est une expérience sensitive de rencontre du monde dans lequel nous sommes et de l’univers dans lequel nous pouvons nous projeter. Eliasson questionne notre place, notre existence au sein de l’univers.
Je vous invite à aller sur le site officiel de Eliasson, en fin d’article une vidéo vous permet de voir l’œuvre et Eliasson explique sa démarche : https://olafureliasson.net/artwork/-shadows-travelling-on-the-sea-of-the-day-2022/
« La créativité est une étonnante boite à idées pour repenser le monde. Idéalement, il devrait y avoir des artistes dans les parlements et des politiciens dans les écoles d’art. »
Le site officiel d’Olafur Eliasson présente un grand nombre de ses œuvres, nous ne pouvons les étudier toutes dans le cadre de ce cours. https://olafureliasson.net/
D’autres artistes, et ils sont nombreux, utilisent la lumière. Il a fallu se limiter. J’ai choisi de présenter des artistes qui utilisent la lumière comme si elle venait de l’extérieur.
Jenny HOLZER, 1950
Américaine.
Elle a suivi une formation aux Beaux-Arts. Dans un premier temps, elle fait de la peinture abstraite. Elle s’oriente ensuite vers le courant qui utilise le langage. Dans les années 70, ‘Art et langage’ est un courant en lien avec l’art conceptuel. Les artistes utilisent les mots dans leurs œuvres. Kosuth est un artiste conceptuel américain dont l’œuvre ‘One and Three Chairs’ est constituée d’une chaise, de sa photo et de la définition du mot chaise. Il présente donc l’objet réel, son image (illusion) et l’explication de ce qu’est l’objet à travers des mots. C’est de l’art conceptuel.
Ces artistes ne travaillent ni sur l’aspect esthétique ni sur les émotions que le public pourrait ressentir, mis à part un certain agacement après avoir vu trois, quatre, cinq, six chaises différentes avec la même définition. On est un peu dans la même veine qu’avec ce que Magritte avait peint en écrivant « Ceci n’est pas une pipe. » L’art conceptuel s’adresse au cerveau, il est nécessaire de réfléchir pour accéder à ce type d’art.
Kosuth, Néon, suivi de cinq mots en néon vert.
On ne remet pas en question l’objet d’art depuis que Duchamp est venu avec ses readymades.
Jenny Holzer entre dans ce courant ‘Art et langage.’ Elle questionne la représentation que l’on a du monde. A partir de 1977, elle écrit des truismes (évidences) et des injonctions sur de nombreux supports différents. Elle loue des espaces publicitaires pour y faire passer des textes mis en évidence par la lumière blanche. Aucun autre procédé technique que la lumière… Elle veut percuter la conscience des citoyens qui sont face à un espace dans lequel normalement on va les inviter à consommer, à acheter.
Elle y met : « Protège-moi de ce que je veux. » Dans ce qu’elle dit, il y a une dimension de critique d’un fonctionnement sociétal.
Ceux qui se retrouvent face à ces slogans ne savent pas trop ce qu’il en est : est-ce une publicité ? Pourquoi ce concept se retrouve-t-il là ? Cela perturbe les gens, elle aimerait qu’ils y réfléchissent.
Elle travaille aussi sur de grands bâtiments aux fonctions spécifiques : mairie, musée, école, université, église. Elle questionne par l’utilisation de l’espace en lien avec ses injonctions.
« L’abus de pouvoir n’est pas une surprise, les actions causent plus de problèmes que prévu. » Plusieurs phrases défilent, d’énormes projecteurs couvrent des bâtiments d’une écriture blanche.
Lorsqu’on lui commande des installations, elle utilise un peu plus la couleur.
Les bandeaux, de différentes couleurs, portent des textes en différentes langues. « Plus d’une fois, je me suis… » le texte défile rapidement en couleurs acides, criardes en néon. La lumière artificielle est ici associée à la couleur et au mouvement. Cela défile partout… les reflets au sol reprennent ces mouvements de lumière colorée, et tout cela agresse les spectateurs dès leur entrée, ils ne peuvent s’empêcher de lire les textes.
Elle a également fait graver ses injonctions sur du marbre mais nous ne travaillons dans ce parcours que les œuvres en lien avec la lumière.