C’est un mouvement italien qui apparait, au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans un contexte de bouleversements à l’échelle européenne. L’Italie sort du conflit ruinée et considérablement affaiblie. Comparé aux sociétés occidentales en pleine mutation, le pays se rend alors compte de son retard notamment dans le domaine économique. Au même moment, les États-Unis mettent en place le plan Marshall, programme de reconstruction de l’économie européenne. Les nouveaux dirigeants poussent les italiens à s’ouvrir à la modernité, à délaisser progressivement les institutions et les valeurs traditionnelles, famille et religion au profit d’une ascension sociale et économique basée sur le modèle américain « l’american way of life ». Ce choix va hérisser les artistes italiens qui n’auront de cesse de s’y opposer. Ils se regroupent dans un mouvement qu’ils nommeront l’Arte Povera. L’expression « arte povera » est inventée par Germano Celant, une des figures principales du mouvement, lors de l’exposition « Art Habitable » (Turin, 1966). Cette exposition marque le point de départ du mouvement italien, caractérisé par la pauvreté de ses matériaux et des techniques utilisées.

Celant a été une figure clé dans la promotion, la théorisation et le soutien du mouvement. En utilisant le terme « pauvre », il n’a pas voulu identifier le statut socio économique des artistes mais au contraire, mettre en évidence leur attitude et leurs intentions. Il faut comprendre le choix de cette « pauvreté » comme un détachement volontaire des acquis de la culture italienne. Les textes critiques de Celant étaient essentiels pour établir l’identité collective du groupe, fragmentée par les pratiques artistiques autonomes de chacun.e.s de ses membres.
Le principe de pauvreté prime dans les œuvres, lesquelles sont majoritairement des sculptures ou des installations. Il n’est en effet pas question d’admirer la technique utilisée, la peinture, ou les dégradés de couleurs. L’Arte Povera se suffit à lui-même et ne veut aucun matériau transformé. Sont utilisé une gamme étendue de matériaux pauvres, comme les chiffons, le bois, le fer, les brindilles, la terre, les éléments naturels ou les déchets industriels, pour obtenir des formes d’expression élémentaires et artisanales typiques de l’ère préindustrielle. Le concept de l’Arte Povera était de faire parler ces matériaux désaffectés, en croyant aux possibilités expressives de la nature et du monde végétal, mais aussi des processus physiques, chimiques. Les matériaux utilisés : la pierre, les objets végétaux et les fruits et légumes, brillent de simplicité, et s’opposent donc nettement à l’empreinte de l’homme sur l’art. Cette simplicité s’oppose également à la production de masse et plus amplement à l’opulence et la sophistication de « l’american way of life » sur l’Italie.

Enfin, le retour aux sources du mouvement prend le pli écologique du lien avec la nature, de la cohésion entre l’homme et celle-ci, mais également au temps qui passe et qui prime sur l’homme. « Ce n’était pas un mouvement organisé mais plutôt une convergence d’affinités. Il était varié mais il y avait une manière identique de voir la réalité, de relier les choses entre elles. La plupart des artistes n’avaient pas de formation académique. Le groupe s’est constitué de manière plutôt spontanée ; il est né de ce sentiment d’opter impérativement pour une approche différente, capable de définir une autre identité culturelle, italienne mais aussi européenne, face à un contexte alors dominé par l’art américain. »

« En ce qui concerne le Land Art car seuls les artistes américains peuvent se rendre dans un désert, faire un trou et montrer qu’il s’agit d’un trou fait de la main de l’homme. En Europe, par contre, la nature est déjà une réalité anthropomorphe, tellement marquée, qu’une telle action ne produirait aucun résultat intéressant. En effet, lorsque j’observe les montagnes en Italie (là où j’habite, on trouve des montagnes aménagées en terrasses jusqu’à près de 2 000 mètres), je peux affirmer que la main de l’homme a déjà modelé le paysage au fil des siècles. Aucune œuvre relevant du Land Art ne peut être créée dans le cadre de cette réalité qui appartient déjà à la culture et à l’histoire. » Penone

A Turin, l’aventure a commencé par l’exposition « vivre l’art » à la galerie Sperone en 1966. Ils sont invités ensuite à la Kunsthalle de Berne en 1969 à l‘exposition « Live in your head ». Aujourd’hui, le Castello de Rivoli à Turin, regroupe une grande partie de leurs oeuvres.

MARIZA MERZ

Marisa Merz “Living Sculpture (part.)” (1966)

Mariza Merz, Living structures, 1966. Les textiles et matériaux qui constituent l’objet disparaissent au profit de l’aspect organique, vivant.

GIOVANNI ANSELMO

Giovanni Anselmo est l’artiste qui a le plus de succès, notamment de par ses recherches sur la mise en scène avec des moyens très pauvres. Son œuvre la plus emblématique, « les 24 heures de la vie d’une salade« , est une installation réalisée en 1968 avec uniquement du granit, une laitue, et du fil de cuivre. Dans cette œuvre, Anselmo veut «laisser respirer la matière», tout en montrant le primat de la pierre et de l’organique sur l’homme.

Giovanni Anselmo Sans titre, (granit, laitue, fil de cuivre)

MICHELANGELO PISTOLETTO

Michelangelo Pistoletto, est quant à lui connu pour ses œuvres incluant des matériaux bruts comme les miroirs, les briques ou les chutes de tissus. Son œuvre est également caractérisée par ses moulages et sculptures avec des chiffons, comme sa « Vénus aux chiffons » en 1967. L’artiste détourne ici le symbole culturel et l’altère d’un monceau de vêtements, emblème de la consommation de masse.

MICHELANGELO PISTOLETTO Vénus aux chiffons

Il provoque un insolite dialogue entre l’évocation d’un passé encombrant à force d’être cité et une réalité banale mais porteuse d’un sens actuel et renouvelé, jouant d’une manière légère avec la sensualité. Par ce télescopage de référence à l’histoire de l’art et d’un principe de réalité brute, pauvre,  il met en scène la nudité et les étoffes soutenue par le regard du spectateur, complice ou voyeur, surprenant la belle.

Michelangelo Pistoletto Love differences 2007

KOUNELLIS

Au-delà des mots et des symboles culturels d’une société qui change, l’artiste Kounellis revient à l’immédiateté des émotions et des sensations. Avec cette plaque de métal ornée d’une tresse de cheveux, réalisée en 1969, Kounellis développe une mise en scène simple doublée d’une invitation au sens primaire du toucher. Son installation est perçue comme une manière de montrer l’importance de la poésie et de l’indicible au sein d’une société de plus en plus moderne.

Jannis Kounellis, Senza Titolo, 1969 (Sans titre)

Kounellis refuse généralement tout titre à ses œuvres, parce qu’il entend revenir, en deçà des mots et des symboles culturels, à l’immédiateté des sensations. L’image de cette plaque de métal d’où surgit une tresse de cheveux offre à la fois une dimension théâtrale et une invitation au toucher. En assemblant ces matériaux opposés par leur texture (le froid, le chaud), l’artiste reconstitue une unité par la teinte, comme si ces éléments avaient été liés au-delà de leur stade iconographique. Si la rencontre fortuite entre ces deux objets évoque l’univers de De Chirico, elle ne peut être considérée comme une nostalgie du passé. Kounellis propose un champ de perception, autre que celui du regard cultivé.

PINO PASCALI

Loin d’être pauvre en signification, l’Arte Povera pousse à la réflexion de par sa simplicité. En travaillant avec la terre, le sculpteur Pino Pascali pousse le spectateur à sortir des clichés de la beauté esthétique. Réalisée en 1967, son œuvre « un mètre cube de terre » questionne ce matériau brut par excellence et son lien essentiel à la vie, sans ornement et sans artifice.

Pino Pascali, Un mètre cube de terre, 1967

ALBERTO BURRI
Burri propose dans les années 1950 la série Sacchi (Sacs), réalisée en collant des sacs de jute sur une toile monochrome. Le peintre italien a réitéré l’importance et la signification des matériaux pauvres, utilisés dans l’art non pas comme un symbole mais comme de véritables « dispositifs de peinture ».

En détournant les codes de l’art figuratif classique, l’Arte Povera affirme l’importance du geste créateur plus que de l’objet fini, raison pour laquelle les œuvres échappent aux collectionneurs et à l’industrie culturelle des années 60. Au sein d’une société basée sur l’acquisition et la consommation de biens matériels, c’est une véritable révolution. L’utilisation de matériaux éphémères éloigne en effet volontairement les œuvres de l’Arte Povera des salles de vente et plus généralement du marché de l’art classique. Cette indépendance artistique prend cependant fin au milieu des années 1970, lorsque nombre des artistes du groupe bifurquent vers des démarches individuelles.

Caractéristiques pertinentes du style Arte Povera:

  • Utilisation de matériaux simples et quotidiens – tels que la terre, le bois, le fer, les chiffons, le plastique, les matières végétales ou les déchets industriels.
  • Revenir à des processus simples et à des messages essentiels.
  • Minimisation conceptuelle.
  • Utilisation fréquente d’installations de grand format (peinture, sculpture ou photographie), mais associées aux gestes simples.
  • Des œuvres d’art qui soulignent le passage du temps, à travers des matériaux dégradables ou non transformés.
  • Ils s’opposent à la culture de consommation et ramènent à la mémoire le sens de la tradition, très fort dans le concept d’héritage culturel italien.
  • Sculptures et installations qui jouent sur le contraste entre nature et artifice, naturel et synthétique, léger et lourd.
  • Introduction du paradoxe.
  • Chaque artiste développe son art avec des éléments récurrents
  • Inclure le spectateur dans l’œuvre, l’incitant à raisonner par et sur lui-même.