FAN HO – 1931-2016
« Les bonnes photographies ne sont pas prises avec un appareil photo. Elles proviennent de vos yeux,
de votre cerveau, de votre cœur, et non d’un quelconque équipement. »
Il met avant tout en évidence ce que les yeux vont voir, ce que le cerveau va comprendre, ce que le cœur va ressentir.
D’origine chinoise il est considéré comme un des photographes de rue les plus importants du XXe siècle, les images qu’il a capturées de Hong Kong dans les années 1920 et 1960/70 sont remarquables.
À l’âge de 14 ans, il reçoit de son père un appareil photo. À 18 ans, il déménage avec sa famille à Hong Kong.
Colonie britannique entre 1842 et 1997 année où elle est rendue à la Chine, Hong Kong a, depuis, un statut particulier par rapport à la Chine continentale. Occupée par les japonais entre 1941 et 1945. L’industrialisation rapide transforme la ville traditionnelle, de nouveaux types d’infrastructures et de métiers apparaissent. Beaucoup de Chinois vont émigrer vers Hong Kong. C’est un haut lieu du capitalisme mondial qui connaît de nombreux échanges commerciaux et malgré son apparence occidentale, il y règne une ambiance fortement asiatique.
Dans les années 1970, FAN HO est devenu acteur et réalisateur et son travail a évolué vers le genre cinématographique. À la fin de sa vie, il retravaillera tout un ensemble de ses clichés. Nous n’aborderons pas ces travaux-là, qui sont des « redites » et peut-être la démarche en est-elle moins intéressante.
Première thématique le Hong Kong traditionnel. Années 1945 / 1950.
Il magnifie l’instant suspendu, et met en évidence la beauté de la vie quotidienne. Il va être comparé au photographe Cartier-Bresson ; on l’appellera le « Cartier-Bresson de l’Est ».
Fan Ho a saisi le portrait d’un Hong Kong en pleine expansion démographique où affluaient des réfugiés
fuyant la Chine.
Il y a un paradoxe à Hong Kong où les Chinois vont maintenir une vie chinoise dans une ville qui se développe à l’occidentale. Fan Ho va montrer des photos qui ont l’air d’un autre temps, d’un autre lieu. Ce qui frappe au premier abord, dans une Chine que l’on connaît comme très populeuse, c’est la rue quasi vide de ses habitants.
La manière dont il prend ses photos : l’angle de vue. En temps normal, on est en « frontal », au même niveau que le sujet. Ici on est en contreplongée, parce qu’au-delà de son sujet principal (photos d’enfants), le mieux est de s’accroupir, de manière à leur laisser toute la place, car ils sont plus petits.
Il adopte une forme très asiatique avec le format vertical allongé.
Le moment un peu suspendu, l’eau, la brume, le reflet.
L’utilisation d’un format rectangulaire allongé axé sur la verticale, qui correspond aux longs cartouches d’écriture qu’on retrouve en Asie. Des angles de vue très forcés, des contrastes entre les noirs, gris, blancs, des contrastes de lumière très intenses, il rend magique des instants d’une banalité exemplaire.
Photo chez un barbier, où il y a 3 miroirs, afin de créer un hors-cadre, le plan -1 (en photographie, on parle de hors-champ). Dans cette petite boutique de barbier banale, le jeu des miroirs intègre une complexité à la compréhension de l’espace, ce qui devient très intéressant.
« Children paradise » 1956 Le paradis des enfants. On a l’impression que l’on est au début du siècle.
LA LIGNE
1965 – 2000
Celle-ci a nécessité d’utiliser 3 photos différentes retravaillées en labo grâce aux outils numériques actuels et réalisée en fonction de l’esthétique asiatique, qui nous touche profondément.
Mais graphiquement, l’importance de la ligne, ici l’ébauche d’une diagonale, est plus intéressante. Nous allons le découvrir dans les photos suivantes.
La ville de Hong Kong, en constante évolution, donne à voir de nombreuses zones de chantiers. Un chantier avec des échafaudages en bambou, est-ce vraiment un sujet intéressant ? À priori, non, mais Fan Ho parvient à capter tout l’intérêt de ce genre de clichés. Superpositions ou reflets ?
Sur les bateaux, il valorise l’oblique dans l’encadrement rectangulaire. Il retravaille son cadrage en labo, ce qui lui permet d’amplifier les contrastes de noirs, de blancs, de gris.
LA FORME
Il faut un peu de temps pour comprendre, des motifs plus clairs, contrastants fortement avec le mur. Et, l’humain : petite particule dans l’ensemble de l’image. Mais il choisit de le placer de manière centrale.
La forme géométrique : le rectangle. Deux rectangles, qui pèsent vers le bas. D’ordinaire, on place ce qui est pesant en dessous, mais Fan Ho fait des propositions qui vont à l’inverse de ce que l’on fait traditionnellement.
La puissance de l’urbanisation qui absorbe les humains, qui sont petits, parfois nombreux, ils grouillent mais souvent, il présente peu d’humains sur ses photos.
Face à ces images, on est un peu perdu; c’est l’objectif. Et, c’est novateur pour l’époque. Il est dans l’utilisation de reflets, des ombres? des miroirs? qui montrent ce qu’il se passe dans un espace « autre ». Il ne fait pas de mise en scène, il prend une photo, il travaille la lumière, le cadrage, les contrastes noirs, blancs, et les valeurs de gris en labo. Le travail numérique, viendra bien plus tard.
LA COULEUR
« Je préfère les photographies en noir et blanc, ce n’est pas que je ne prends pas de photos en couleur. Les couleurs ne s’inscrivent pas bien dans mon monde, le noir et blanc m’offrent une distance. Une sorte de distance par rapport à la vie réelle, je pense que cette distance est très importante. La vie réelle est multicolore mais le noir et le blanc offrent un sentiment de détachement, il permet aux spectateurs de développer leurs propres réponses et offrent l’espace et la profondeur pour réfléchir et contempler mes idées. »
Quelque chose de très particulier : un mur sur lequel il y a l’ombre d’un arbre et une fenêtre qui renvoie le reflet de l’arbre, dont on voit l’ombre sur le mur. Une mise en abîme mais qui n’est pas traditionnelle, c’est une mise en abîme sur un seul plan.
LES OMBRES
L’ombre est un des sujets majeurs chez Fan Ho.
Il travaille aussi l’ombre en proposant des photos de manière inversée, ce qui rend les personnes fantomatiques, et donne vie à ces personnes plus par leurs ombres que par leur physique. Ce sont les ombres qui donnent vie aux sujets.
« Peintre de rue » : c’est le titre de la photo, mais finalement, quel en est le sujet ? N’est-ce pas ce qu’il y a sur le mur, c’est-à-dire, ce qu’il n’y a pas à peindre ?
Il est connu pour trouver l’instant suspendu, qui permet un résultat photographique très riche, alors qu’il n’y a pas grand chose comme effet, il a un regard très pertinent, très acéré pour repérer des moments visuels de qualité.
Beaucoup de photos dans le métro, les escaliers de métro, où il y a cet aspect de déshumanisation, avec des moments de lumière, de poussière, de brume ces moments quotidiens, basiques, rituels et il en fait un moment étrange, surnaturel. Il retravaille peu ses photos. La lumière est naturelle. La construction de la composition est favorisée par l’aspect symétrique.
Il travaille beaucoup le contre-jour, les reflets, les ombres.
Comme ici, la ligne en oblique qui déstabilise, qui peut faire penser à un funambule. L’utilisation de l’oblique génère de l’interrogation, du déséquilibre, de l’attention.
Une de ces photos les plus connues :
Le minimalisme n’existe pas encore dans les années 1960. Et pourtant, Fan Ho réalise un portrait « minimaliste ». Il y a très peu de choses : des formes géométriques, un jeu de valeurs beaucoup moins contrastées que ce qu’il fait habituellement, des gris très doux, à un gris plus soutenu, mais pas les gris foncés qu’il utilise habituellement, juste la robe de la dame qui est noire. Elle est placée sur un fond plus clair. Tout ceci donne sa puissance à la photo, alors qu’il n’y a pas grand chose. La partie droite en gris soutenu, c’est l’ombre d’un bâtiment.
Des effets de composition.
Il mêle les formes, les lignes et voilà ce qu’il propose :
Il n’y a pas de mise en scène, deux personnes sont installées pour lire, une certaine poésie se dégage.
un oiseau qui s’envole vers une grille, quelque chose qui pourrait être compris comme une cage, un message plus complexe. Contrastes de valeurs, le gris et le blanc.
Ici, des marches, un personnage en train de jouer de la flûte. La répétition des étages fait écho à la musique.
On quitte les obliques, les droites, pour arriver à des formes circulaires,
Un miroir, qui nous donne accès à un plan -1 avec un enfant, en train d’observer les choses et le plan 1 de la boutique.
Un ressenti très subtil, valeurs claires, plus foncées, plus claires, perception de l’espace grâce à une perspective chromatique de valeurs différentes.
« Quel est le secret de l’art de la photographie ? C’est expérimenter, expérimenter et expérimenter sans fin».
Angles inattendus, explorer différents moments de la journée pour la lumière.
Après les années soixante il se consacrera au cinéma comme acteur et ensuite comme réalisateur.
A partir de 1995 il vivra en Californie ou il s’éteint à l’âge de 84 ans
Son travail est conservé dans des collections temporaires et permanentes à travers le monde, y compris celle du Musée d’art moderne de San Francisco et Bibliothèque nationale de France. Relativement inconnu en Occident en dehors des cercles photographiques ; son unique représentant est la galerie Blue Lotus de Hong Kong, qui a facilité la diffusion de son travail à un public plus large.
ANALYSE ESTHETIQUE
L’analyse esthétique d’une photographie Noir/ Blanc procède à peu près au même déroulé des procédés techniques que pour une peinture sauf qu’on ne parlera pas de couleur mais de valeurs de gris et de contrastes et on parlera plutôt de facture photographique en exprimant des notions de netteté et de flou à la place de la facture picturale. Tous les autres procédés techniques sont équivalents.
L’œuvre : « Private » 1960
IMPRESSIONS GENERALES :
surprise, sobre (attention c’est de la description, face à quelque chose de sobre, je me sens ?), triste, apaisée, amusée, exclue, curieuse, intriguée, voyeur, anxieux, envieux, seul, intimidé, indiscrète.
PROCEDES TECHNIQUES :
Les plans :
4 plans ?
- plan 1 : de soi au mur (le toit ne doit pas être coupé)
- plan 2 : du mur jusqu’au bout de la rampe (=non car on ne peut couper l’espace où se tient le couple) donc, jusqu’à l’espace avec les lignes verticales ouvrant sur l’extérieur
- plan 3 : l’extérieur (encadrement muni de barreaux, le blanc qui nous fait penser à un extérieur). DONC 3 PLANS.
Lignes de direction :
Horizontale (le trottoir, la fenêtre), des verticales (panneau empierrement base du mur, la fenêtre, les barreaux).
La ligne la plus importante : d’emblée, on dit horizontale, mais les verticales additionnent également une belle longueur. L’oblique du toit à droite n’est pas structurelle, c’est une perspective.
Rôle des horizontales : stabilité ; des verticales : dynamiser, s’élancer, s’élever.
Forme géométriques :
Carré et rectangle. Cela habille la construction, c’est de l’ordre du motif décoratif, mais pas structurel.
Couleur : contrastes noir/blanc avec des valeurs de gris :
Le plus important : le blanc, des gris et quelques touches de noir. Il n’y a pas de « vrai » noir.
Est-on plus dans le contraste ou dans l’harmonie ? Ici, plutôt dans le contraste. Le blanc est majoritaire et les autres valeurs viennent ponctuer, contraster la composition.
Émotions relatives aux valeurs : perdu, apeuré, calme, indifférent, captivé.
Lumière :
Est-elle naturelle ? Oui
Source : d’où vient elle ? Il n’y a pas d’ombre sur la surface, impossible de dire d’où vient la lumière. C’est comme si la lumière venait vers le spectateur, la lumière est uniforme. Il y a un contrejour à l’intérieur du bâtiment : jeu de lumière varié. Dans le 3e espace, à l’extérieur, la lumière est semblable à l’extérieur du premier plan.
On est face à une lumière contrastée. Elle est plus forte devant, sur le mur ; dans l’espace intérieur, elle est présente mais moins forte. Au 3e espace, elle est forte comme au 1er plan.
Perspective :
Comment avance-t-on dans l’espace :
- linéaire : la corniche vers le mur ; les lignes obliques de la rampe et de manière limitée de la fenêtre basculante.
- Chromatique : travail sur les valeurs. Plan 1 : valeur blanche – plan 2 valeurs grises – plan 3 valeur blanche
- Aérienne : plan 1 lumière forte, homogène, blanche – plan 2 moins forte et contrastée – plan 3 homogène et forte. Zones de lumière différentes qui permettent d’avancer.
Facture photographique :
Netteté et flou. La netteté est majoritairement utilisée. Un peu de flouté dans l’encadrement de la fenêtre du à l’ombre légère qui matérialise la fenêtre. De très légers gris qui ombrent mais on perçoit plus l’aspect de netteté.
EFFETS RECHERCHES
– Je me sens exclue de l’espace intérieur du 2e plan qui me plonge dans la solitude du premier plan.
– Amusée par l’utilisation de la valeur de gris foncé dans le mot « private » et pour le couple qui génère une ambiguïté entre le contenu du mot et ce qui se passe au plan2.
– Je me sens indiscrète par la lumière contrastée de l’espace intérieur du 2e plan où un couple à l’air de partager un secret.
– Apaisée par l’homogénéité de la lumière sur le mur qui m’écarte de la scène de la fenêtre.
– Attiré par la fenêtre carrée par laquelle mon regard voit deux personnes. (forme)
– Surpris par les lignes de direction minimales qui me donnent l’impression d’être dans une bande dessinée.
– Indiscret par la perspective aérienne qui me montre un espace intérieur, met en valeur un couple, et que se passe-t-il ? private !
– Dérangée par la netteté de la facture photographique qui ramène constamment mon regard à cette scène privée.
– Intriguée par les valeurs de gris qui dessinent les idéogrammes de ce cliché.
MESSAGE
Sujet de l’œuvre :
Le mot private devant la façade d’un bâtiment avec une ouverture carrée, derrière cette fenêtre, un couple.
Procédés techniques essentiels :
Importance du jeu subtil de la lumière, la valeur blanche du mur qui s’oppose à ce couple très obscur, le mot private écrit en blanc.
Contexte culturel :
Sa maîtrise du cadrage, des valeurs de gris, des contrastes.
Quel est le message, l’intention ?
– Il ne faut pas écouter aux fenêtres.
– Ça ne nous regarde pas !
– Pas si privé que cela, la fenêtre est ouverte.
– La vie va et les histoires intimes sont partout les mêmes.